Dupont - Gibson-Park, le match dans le match Irlande - France
Ce samedi, l’équipe de France se déplace en Irlande pour le match le plus attendu du Tournoi des Six Nations 2025. L’occasion, au-delà de l’enjeu autour de la victoire finale dans la compétition, de voir aux prises Antoine Dupont et Jamison Gibson-Park, deux demis de mêlée parmi les meilleurs joueurs du monde.
À eux deux, les photographes irlandais James Crombie et Dan Sheridan ont pris plus de 5 000 photos de la finale de Champions Cup 2024. Deux d’entre elles résument parfaitement ce match entré dans la légende.
Entouré de bouteilles vides, Jamison Gibson-Park est assis sur la pelouse synthétique juste devant le banc du Leinster. Il a retiré ses crampons et se ronge les ongles. On perçoit des larmes dans ses yeux. À 20 mètres de là, on est en train de monter l’estrade où va bientôt s’installer le Stade Toulousain pour célébrer sa victoire.
Sur la seconde image, Antoine Dupont est aussi en pleurs. Il donne l’accolage à Ugo Mola, et c’est la vue de son entraîneur qui le chamboule. Dupont avait abordé cette finale en ayant battu le Leinster une seule fois sur leurs huit derniers affrontements. La revanche avait mis du temps à arriver, et elle n’en était que plus douce.
Dix mois se sont écoulés depuis ce match au Tottenham Hotspur Stadium. Un temps suffisamment long pour que l’arrière de l’Irlande Hugo Keenan accepte d’évoquer cette rencontre, l’une des plus intenses et dramatiques de l’histoire de la compétition. À la veille de retrouver Dupont, Keenan esquisse un sourire et hausse les épaules. À Londres, le demi de mêlée avait été au four et au moulin avec notamment quatre turnovers (dont deux dans ses 22 m), deux magnifiques 50/22 et une menace permanente qui lui avaient offert la récompense d’homme du match en plus du trophée.

« Il avait été extraordinaire », se souvient Keenan. « Ses deux 50/22 avaient été déterminants, tout comme ses capacités à passer après contact, à distribuer ou à porter le ballon. Il a tout ce qu’il faut. »
O’Connell : « Le meilleur joueur du monde, c’est Antoine Dupont, et je pense qu’il sera le meilleur de tous les temps »
Après ça, Keenan et Dupont ont tous deux délaissé le rugby à XV pour se lancer dans l’aventure olympique du Sevens. Keenan et l’Irlande ont atteint les quarts de finale à Paris, quand Dupont menait les Bleus au sacre en écrasant les Fidji, doubles champions olympiques en titre, 28-7 en finale.
Même avant ces exploits olympiques, les grands noms du rugby louaient le talent protéiforme de Dupont. Lors de l’inauguration de l’International Rugby Experience en 2023, Sean Fitzpatrick, Bryan Habana, François Pienaar, Joy Neville, Danielle Waterman, Keith Wood, Matt Dawson et Martin Johnson ont tous cité son nom comme étant le meilleur au monde. La seule voix contraire est venue de l’ancien centre anglais Jeremy Guscott, qui lui préférait Josh van der Flier. Guscott avait tout de même ironisé : « Il est plutôt bon, n’est-ce pas, ce Dupont ? »
Paul O’Connell, entraîneur des avants de l’Irlande, et Johnny Sexton, qui a participé aux séances d’entraînement auprès de Sam Prendergast, Jack Crowley et Ciarán Frawley, étaient également présents lors de cet événement à Limerick. « Le meilleur joueur du monde, c’est Antoine Dupont », annonce O’Connell. « Et je pense qu’il sera le meilleur de tous les temps. C’est sans aucun doute le meilleur joueur que j’aie jamais vu. »
Sexton acquiesce. « Dupont pourrait devenir le meilleur joueur de tous les temps. Il est tellement bon. » Compte tenu des légendes avec lesquelles ces Irlandais ont joué et contre lesquelles ils ont joué, difficile de faire plus beau compliment.
Reprenons la Champions Cup 2023-2024 et arrêtons-nous aux statistiques de ‘Toto’ sur l’ensemble de la compétition. Il a inscrit cinq essais, réussi sept passes menant à l’essai, fini en tête des passes après contact (20), des courses avec ballon (110), deuxième sur les mètres parcourus (354), les franchissements (16), troisième sur les ballons récupérés (9).
Il a souvent terminé les matchs comme demi d’ouverture à la manière de ce que pouvait faire Brian O’Driscoll sur la deuxième partie de sa carrière, tout en se transformant en troisième ligne supplémentaire si nécessaire.
Les analystes vidéo de l’Irlande ont dû remonter à la période castraise de Dupont pour trouver des failles dans son jeu
L’ailier de l’Irlande et du Leinster James Lowe a fait remarquer que les analystes vidéo avaient dû remonter à la saison 2016-2017, quand Dupont jouait à Castres, pour trouver des failles dans son jeu. « Ce gars fait peur », souligne Lowe. « Il va tellement vite, il est tellement physique. Il prend toutes les bonnes décisions et te ridiculise. »
Il n’y a que les supporteurs et les commentateurs sud-africains, gonflés par les deux titres mondiaux consécutifs des Springboks, pour contester le statut d’icône de Dupont. La défaite de l’équipe de France à Twickenham, mi-février, a également choqué. Pour la première fois depuis des lustres, le demi de mêlée, surnommé « le martien » par son coéquipier Cyril Baille, a paru humain : une passe de Thomas Ramos mal contrôlée alors qu’il filait à l’essai, quelques passes précipitées et quelques coups de pied mal ajustés sous la pression de la défense anglaise.
« Cela ne ressemble tellement pas à la France de faire autant d’erreurs », faisait remarquer l’ancien ailier irlandais Andrew Trimble sur Virgin Media Sport. « Ils ont sans doute fait leur quota de fautes pour l’année à venir, et l’Irlande va en payer le prix à Dublin ».
Alors que Dupont retrouvait sa magie contre l’Italie, Gibson-Park a lui réussi jusqu’à présent un Tournoi brillant. Il a terminé matchs victorieux contre l’Angleterre et le pays de Galles avec la médaille de joueur du match autour du cou. Sans rien enlever à la prestation de Prendergast contre l’Écosse, le joueur né en Nouvelle-Zélande méritait lui aussi cette récompense à Édimbourg. Il a été exceptionnel et au cœur de chaque offensive positive et son jeu au pied a été précis et judicieux. Au moment où l’Écosse se montrait la plus dangereuse, son retour défensif sur Huw Jones, qui allait marquer, a été spectaculaire.
He does it again! Form of his life! Jamison Gibson-Park is shining!! 🌟 #GuinnessM6N pic.twitter.com/RwMPtwZXYR
— Guinness Men’s Six Nations (@SixNationsRugby) February 11, 2025
Après trois levées du Tournoi des Six Nations 2025, ‘JBP’ est le joueur qui s’est le plus distingué. Il a été un mentor formidable pour Prendergast, son jeu au pied devient chaque jour meilleur, et il a donné le la à toute l’équipe d’Irlande quand celle-ci s’est retrouvée à 14 pendant 20 minutes contre le pays de Galles.
Même si, de prime abord, on peut croire que son coup de pied décroisé à destination de Lowe était un poil long, il s’agissait en fait d’une combinaison travaillée, inspirée par une visite du footballeur gaélique Brian Fenton au camp d’entraînement irlandais. L’ailier avait dominé Blair Murray dans les airs et volleyé le ballon en direction de Jamie Osborne, en soutien. « Ce n’était pas un coup de chance », a insisté Simon Easterby, le sélectionneur par intérim de l’Irlande.
Gibson-Park, 33 ans, a partagé le poste de demi de mêlée avec Conor Murray pendant 18 mois à son arrivée sous le maillot vert. Mais depuis la victoire sur les All Blacks 29-20 à l’Aviva Stadium en novembre 2021, le débat est clos. Murray, Craig Casey ou Caolin Blade se partagent les miettes laissées par Gibson-Park.
« La façon dont je vois les choses, et ce qui est important pour moi, c’est qu’à partir du moment où l’on vous fait confiance, que l’on vous donne des responsabilités, vous commencez à vous sentir à l’aise », explique-t-il. « Je suis compétiteur, c’est mon état d’esprit, que ce soit à l’entraînement avec l’Irlande ou au Leinster. Chaque jour, j’essaie d’améliorer mon jeu et je me bats contre les autres. »
Keenan ne tarit pas d’éloges à son égard. « Il a le potentiel pour être le meilleur joueur du monde. Je vois à quel point il est important pour le Leinster et l’Irlande. » Des déclarations que l’on retrouve souvent quand on discute avec des membres de l’équipe d’Irlande. Ils ne manquent pas de citer Dupont, mais Gibson-Park mérite de figurer dans la conversation selon eux.
« Dupont est incontestablement l’un des meilleurs joueurs au monde », juge par exemple Mack Hansen. « Mais je trouve que beaucoup d’autres 9 sont un peu déconsidérés, et Jamo fait partie de cette catégorie. Quand il est sur le terrain et qu’il joue bien, il apporte beaucoup au groupe, à la fluidité de notre jeu et à notre façon de jouer. »
Entre Dupont et Gibson-Park, Morgan Parra refuse de trancher
Le plaidoyer en faveur de Gibson-Park prend même de l’ampleur au niveau international. L’ancien capitaine de l’Écosse John Barclay a affirmé à la BBC que le demi de mêlée de l’Irlande était le deuxième meilleur joueur du monde derrière Dupont. L’ancien 9 des Bleus Morgan Parra refuse pour sa part de trancher. « Gibson-Park n’est pas seulement un bon joueur, c’est un grand joueur. Il est au niveau de Dupont. Il n’est pas le premier choix de l’Irlande au poste de demi de mêlée pour rien. On a pu s’en rendre compte, car il a fait une Coupe du Monde énorme en France. Il a énormément d’influence sur le jeu irlandais. »
Dans le podcast Rugby Union Weekly hébergé par la BBC, le journaliste gallois Gareth Rhys Owen a avancé un argument frappant : si Dupont est le meilleur joueur de la planète, Gibson-Park est le meilleur demi de mêlée. « Il a succédé à Aaron Smith au titre de meilleur demi de mêlée du monde et il a toutes les chances d’être titularisé au poste de 9 avec les Lions britanniques et irlandais. Il a été absolument incroyable. »
This match-up, who would you rather have in your team? #guinnessM6N pic.twitter.com/JIYKm0jKxf
— Guinness Men’s Six Nations (@SixNationsRugby) March 6, 2025
Si vous voulez trancher ce débat, il suffit d’interroger Gibson-Park. « Antoine est le meilleur joueur du monde ces dernières années », insiste le barbu irlandais.
Il pourrait toutefois s’immiscer encore un peu plus dans la discussion si l’Irlande domine la France samedi. En cas de victoire du XV du Trèfle, Gibson-Park devrait rafler trois prix d’un seul coup : un troisième sacre consécutif, le titre de joueur du Tournoi, et un billet pour l’Australie avec les Lions.
Keenan évoque avec justesse ce match très attendu. La douleur née de la défaite en Champions Cup n’a pas disparu, mais il a poursuivi sa quête en jouant aux côtés de joueurs comme Gibson-Park, et contre des talents uniques comme Dupont.
« Antoine est l’un des meilleurs joueurs du monde depuis quelques années », atteste Keenan. « C’est toujours un énorme défi à relever, mais on a envie de se mesurer aux meilleurs joueurs du monde, que ce soit avec le Leinster ou l’Irlande.
« La France est en plein renouveau. Elle a été excellente contre l’Italie. Le danger avec eux, c’est qu’il n’y a pas que Dupont. Ils disposent d’une panoplie de trois-quarts incroyablement doués et d’un groupe d’avants massifs. C’est là que nous voulons être : contre les meilleurs du monde à l’Aviva, dans un stade qui sera plein à craquer. »
On a aussi hâte d’y être.
Cet article a été inialement publié en anglais sur RugbyPass.com et adapté en français par Jérémy Fahner.
Venez remporter des produits dérivés des Lions britanniques et irlandais ! Des maillots replica, des sacs à dos, des casquettes, des bonnets à pompon et des écharpes sont à gagner. Vous pouvez participer dès maintenant.