Par Gavin Mortimer
Henry Chavancy a disputé samedi son dernier match sous le maillot du Racing 92. À ses côtés sur la ligne arrière : Henry Arundell. L’Anglais avait cinq ans lorsque Chavancy, aujourd’hui âgé de 37 ans, effectuait ses débuts professionnels avec le Racing, en mars 2008.
À l’époque, Facebook et les BlackBerry faisaient fureur. Un jeune Américain du nom de Barack Obama se lançait dans la course à la présidence. Parmi les coéquipiers de Chavancy ce jour-là, figuraient Agustin Pichot et Thomas Lombard. C’était il y a 17 ans.
Samedi était aussi un moment fort du côté de Welford Road, où Leicester a dominé Sale pour décrocher son billet en finale de Premiership. L’occasion pour les supporters des Tigers de dire au revoir à deux monuments du club : Dan Cole et Ben Youngs, qui totalisent à eux deux 36 saisons de service. Youngs avait fait ses débuts en avril 2007 contre Bristol, Cole quelques mois plus tard, en octobre, face à Bath.

C’est aussi la dernière saison pour deux autres piliers du rugby anglais : Alex Goode (Saracens) et Danny Care (Harlequins). La saison prochaine, la Premiership n’aura plus tout à fait la même saveur sans eux.
Au Racing aussi, Chavancy va laisser un vide. Le club francilien est réputé pour son goût du show. En 1990, ses joueurs avaient débarqué en finale du championnat face à Agen avec des nœuds papillons roses, avant de boire du champagne à la mi-temps. En finale de Champions Cup 2020 contre Exeter, ils avaient ressorti les nœuds pap’, mais sans sabrer les bulles.
Depuis deux décennies, le Racing a attiré certaines des plus grandes stars du rugby mondial à Paris : Pichot, Jonny Sexton, Dan Carter, Finn Russell, Siya Kolisi, Owen Farrell… avec des fortunes diverses.
Henry a toujours incarné l’esprit de groupe. Discipliné, fiable, dévoué. Cela a dû le faire souffrir de voir certains joueurs débarquer au Racing, empocher de gros chèques, et repartir sans vraiment s’être investis.
Mais au milieu de toutes ces vedettes, il y a eu Chavancy. Il n’était pas le trois-quarts centre le plus doué de sa génération. Pas le plus rapide, ni le plus créatif – ce qui explique ses cinq petites sélections avec les Bleus – mais jamais personne ne pourra lui reprocher de ne pas avoir tout donné.
Fils d’un militaire de haut rang (le général de corps d’armée Pierre Chavancy a commandé une brigade de la Légion étrangère avant de devenir gouverneur militaire de Lyon), Henry a toujours incarné l’esprit de groupe. Discipliné, fiable, dévoué. Cela a dû le faire souffrir de voir certains joueurs débarquer au Racing, empocher de gros chèques, et repartir sans vraiment s’être investis.
Dans une interview il y a quelques années, Henry Chavancy expliquait combien les valeurs transmises par son père avaient influencé sa manière d’aborder le rugby. Il reconnaissait « quelques lacunes techniques », mais disait surtout apprécier « la solidarité et le sens des responsabilités qui se dégagent d’une ligne défensive, où chaque coéquipier a un rôle essentiel à jouer. On s’entraide pour ne pas lâcher ».

Cette solidarité, cette camaraderie, ce sont aussi les mots qu’ont utilisés Youngs et Cole au moment d’annoncer leur retraite. Comme Chavancy avec le Racing, Youngs est resté fidèle à Leicester toute sa carrière. « Le vert, le rouge et le blanc, c’est tout ce que j’ai connu, et c’est tout ce que j’ai voulu connaître. Jouer contre ce club n’a jamais été une option. Finir en étant un joueur d’un seul club, ce sera l’une de mes plus grandes fiertés. »
Hormis quelques prêts à Nottingham et Bedford en début de carrière, Cole a lui aussi été un homme d’un seul club. Une espèce en voie de disparition.
Et ce n’est pas un hasard si, ces deux dernières semaines, deux nouvelles compétitions de clubs ont vu le jour. D’un côté, la Coupe du Monde des Clubs, soutenue par les instances officielles. De l’autre, la R360, une ligue dissidente qui promet déjà monts et merveilles. Dans le Sunday Times, Stuart Barnes cite un des organisateurs de la R360 : « Aujourd’hui, moins de cinq joueurs gagnent plus d’un million de dollars par saison. Nous, on en aura une quarantaine. On veut les meilleurs. »
Le rugby est de moins en moins un sport fait pour les anciens. Pour un Cole, un Youngs ou un Chavancy qui peut choisir le moment de sa retraite, à la fin de la trentaine, il y a un Leon Brown, un Anthony Watson ou un Paul Willemse, dont la carrière a été brutalement stoppée en pleine force de l’âge à cause d’une grosse blessure.
Le sujet était sur toutes les lèvres lors de la soirée des Trophées de la Premiership. « L’argent peut compter à un moment donné, mais pour moi, jouer pour l’Angleterre reste la priorité », expliquait Tommy Freeman, l’ailier de Northampton. Même son de cloche pour Ellis Genge : « Je ne voudrais jamais tirer un trait sur l’Angleterre. Mais on sait que 90 % des rugbymen devront bosser après leur carrière. Alors si les sommes proposées deviennent vraiment énormes, certains auront des choix à faire. »
Et pour cause : le rugby est de moins en moins un sport fait pour les anciens. Pour un Cole, un Youngs ou un Chavancy qui peut choisir le moment de sa retraite, à la fin de la trentaine, il y a un Leon Brown, un Anthony Watson ou un Paul Willemse, dont la carrière a été brutalement stoppée en pleine force de l’âge à cause d’une grosse blessure. Alors, qui peut reprocher à un joueur de privilégier l’argent à la fidélité envers son club ? Certainement pas Ellis Genge : « Je ne leur en voudrais pas », dit-il, interrogé sur la tentation de rejoindre cette fameuse ligue parallèle.
Les joueurs fidèles à un seul club se font rares depuis le passage au professionnalisme. Dans l’équipe d’Angleterre championne du monde en 2003, seuls Dallaglio, Richard Hill, Ben Kay et Martin Johnson ont passé leur carrière entière au même endroit.

On imagine bien que la R360 rêverait d’avoir un Henry Pollock dans ses rangs. Mais pour l’instant, le jeune troisième ligne reste clair : « On est très concentrés sur le fait de jouer pour notre pays. Comme l’a dit Tommy, ce serait un énorme sacrifice. »
Cela dit, dans une interview récente à la BBC, Pollock estimait aussi que le rugby devrait s’inspirer davantage du football pour grandir : « Dans le foot, les supporters s’identifient à des joueurs, à des personnalités. Le rugby doit aller dans ce sens. »
Beaucoup de grands propriétaires de clubs le pensent déjà. Pour eux, les joueurs sont des produits, des leviers pour générer des revenus. Le rugby suit doucement ce chemin. C’est regrettable, mais sans doute inévitable. C’est pourquoi il faut chérir les Chavancy, Goode, Cole et Youngs. À eux quatre, ils cumulent près de 1 500 matchs avec leurs clubs respectifs. Une fidélité devenue rare.
Et qu’on ne reverra peut-être jamais. Ce club très fermé des « one-club men ».
Cet article, publié initialement sur RugbyPass.com, a été adapté en français par Willy Billiard.
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