Lors de la récente victoire du Leinster contre l’Ulster en United Rugby Championship, une séquence de jeu a illustré ce qui attend le rugby moderne. Cela ne plaira pas à tout le monde, mais rien n’est fait pour stopper la tendance.
L’Ulster avait attaqué le match avec beaucoup d’intentions, mais cinq minutes fatales, de part et d’autre de la mi-temps, lui ont coûté cher. Menés 24-10 à 25 minutes du terme, les hommes de Richie Murphy ont tout donné pour investir les 22 mètres du Leinster. Il leur fallait marquer, sinon le match était plié. Le Leinster l’avait bien compris.
Pendant 12 phases et deux minutes, le Leinster a repoussé, harcelé et fait reculer les porteurs de balle nord-irlandais. Les couloirs de passe étaient verrouillés, peu importait si l’Ulster tentait à gauche, à droite ou plein axe. Les Dublinois répondaient par une puissance physique impressionnante, jusqu’à repousser l’Ulster quasiment hors de la zone de marque, avant qu’un coup de pied en touche n’offre enfin un temps mort à tout le monde.

Quelques semaines après ce match, j’ai discuté avec Willie John McBride, légende de l’Ulster, de l’Irlande et des Lions. À 84 ans, il préfère désormais regarder les matchs à la télévision mais il reste passionné. Il confiait néanmoins être « désespéré » par le rugby moderne et le fait de voir que les joueurs habiles avaient presque disparu. « C’est trop physique et trop brutal aujourd’hui », déplorait-il.
Difficile de lui donner tort. Il reste de la place pour la beauté, mais la norme, ce sont les monstres physiques. Antoine Dupont est souvent cité en contre-exemple, mais le maître à jouer toulousain bénéficie d’un physique dense et compact (1,74 m, 85 kg selon le site officiel du Stade Toulousain).
Depuis deux ans, les grandes équipes testent la formule du banc surchargé en avants. La répartition avants/arrières est devenue un sujet central à chaque annonce de feuille de match. L’Afrique du Sud, sous Erasmus puis Nienaber, a ouvert la voie avec ses bancs 6-2 voire 7-1. Ce qui semblait une provocation est devenu la norme : 7-1 en phase de poule perdue contre l’Irlande, puis en finale victorieuse contre la Nouvelle-Zélande.
Lors du dernier Tournoi, l’Angleterre, l’Italie, l’Écosse et l’Irlande ont toutes tenté le 6-2. La France a commencé ainsi, avant de basculer complètement du ‘côté obscur’ pour les trois derniers matchs, dominant l’Italie, l’Irlande et l’Écosse avec un banc en 7-1.
L’ancien sélectionneur de l’Écosse et désormais commentateur Matt Williams, l’ex-trois-quarts centre de l’Angleterre Will Greenwood, l’ancien ouvreur du pays de Galles et de Clermont Stephen Jones et même l’ex-sélectionneur sud-africain Nick Mallett sont montés au créneau contre cette tactique. Mais comme souvent, le rugby copie les vainqueurs.
Lors du dernier Tournoi, l’Angleterre, l’Italie, l’Écosse et l’Irlande ont toutes tenté le 6-2. La France a commencé ainsi, avant de basculer complètement du ‘côté obscur’ pour les trois derniers matchs, dominant l’Italie, l’Irlande et l’Écosse avec un banc en 7-1.
Quand Dupont s’est blessé après 28 minutes à Dublin, l’entrée de Maxime Lucu a laissé les Bleus sans trois-quarts de métier sur le banc. Puis Pierre-Louis Barassi est sorti sur commotion. Il restait 34 minutes à jouer. Oscar Jégou, troisième ligne rochelais, a alors dépanné au centre, inscrivant un essai et provoquant un turnover décisif.
Fabien Galthié n’en était pas à son coup d’essai. Le flanker Sekou Macalou avait joué plus d’une heure à l’aile en novembre 2022 face à l’Afrique du Sud. Rendant une copie loin d’être ridicule.
Jegou comme Macalou incarnent parfaitement ces nouveaux joueurs hybrides capables de dépanner devant comme derrière.
Ce profil hybride, Ronan O’Gara l’avait décrit en mai 2023, la Champions Cup à la main, citant Levani Botia comme référence. Jégou, lancé à 19 ans avec La Rochelle, a depuis brillé avec les U20, et impressionne par sa puissance et sa mobilité. Ben Earl, côté anglais, a fait 30 minutes au centre contre le pays de Galles.
En avril, Alan Gilpin, patron de World Rugby, a confirmé qu’aucun changement de règle n’était prévu concernant les remplacements : « Aucune preuve médicale ne montre que plus d’avants sur le banc augmente les blessures. La science ne le dit pas, donc pas de raison de changer. Il existe mille façons de gagner un match. »
J’avais déjà suggéré de tester Bundee Aki comme option à la Botia sur le banc pour la Coupe du Monde 2027
L’Irlande, sous Andy Farrell puis Simon Easterby, a elle aussi multiplié les options : Conor Murray, demi de mêlée capable de couvrir l’ouverture et de buter, va partir à la retraite. Ciarán Frawley, capable de jouer 10, centre ou arrière, est en perte de vitesse. Jamie Osborne semble le plus polyvalent derrière.
J’avais déjà suggéré de tester Bundee Aki comme option à la Botia sur le banc pour la Coupe du Monde 2027. Mais la vraie opportunité, ce sont ces avants mobiles, capables de finir le match au centre. Farrell, après les Lions, aurait tout intérêt à cibler des profils hybrides pour retrouver une dynamique à une équipe d’Irlande qui a besoin de sang frais.

Deux noms reviennent : Cormac Izuchukwu et Ryan Baird. Plus grands et plus massifs que Jégou, Botia ou Earl, ils peuvent couvrir la deuxième et la troisième ligne, tout en ayant de la vitesse. Cela pourrait faire d’eux des joueurs précieux sur un banc.
Ruadhán Quinn et Brian Gleeson (1,93 m, un peu plus de 110 kg) sont deux autres options en provenance du Munster. Tous deux n’ont que 21 ans et sont encore en apprentissage. L’Irlande devrait faire comme la France avec Jegou, et les habituer à jouer devant comme derrière.
Erasmus n’a pas changé le rugby avec ses lampes de signalisation ou ses rôles d’entraîneur-porteur d’eau, mais il a tout révolutionné avec la gestion du banc. Presque tout le monde y a goûté, et il sera passionnant de voir si le 7-1 devient la nouvelle norme.
Le rugby a prouvé que rien n’est figé, et que la pression populaire peut encore influer sur les règles. Mais jusqu’à la Coupe du monde 2027, on entre dans l’ère du bomb squad et des joueurs hybrides. L’Irlande, comme les autres, va devoir dénicher ses propres forces pour défier les nouveaux paradigmes du rugby contemporain.
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