Par Graham Simmons
Graham est aujourd’hui entraîneur de rugby, mais pendant 25 ans, il a été reporter rugby pour Sky Sports. Il a couvert les tournées des Lions, les matchs internationaux de l’Angleterre à domicile comme à l’étranger, la Heineken Cup, le Top 14, la Premiership et le Pro 14. Il a également passé dix ans à commenter pour Sky des compétitions de golf majeures comme la Ryder Cup, l’US Open et le PGA Championship.
Des regrets ? Il y en a eu quelques-uns. En fait, en y repensant, il y en a même eu pas mal. Alors, avec votre permission, je vais éviter de mettre en lumière ce dont je ne suis pas très fier pour me concentrer sur ce qui nous intéresse vraiment. J’ai mis une petite pièce sur le Munster le week-end dernier, en me disant qu’ils allaient sûrement surprendre un Stade Rochelais tout mollasson. Et j’avais raison. Sauf que, bien sûr, j’aurais dû miser beaucoup plus – tout ce qui reste de mon maigre plan retraite, par exemple. C’est ça, le sport : on ne mise jamais assez sur le bon cheval.
À l’époque, quand on suivait la horde rouge sur les routes d’Europe, les gars dans les camions de SKY TV suivaient un principe sacré, résumé par un acronyme aussi rapide que clair : NBAMIE – Never Bet Against Munster In Europe. Leçon apprise à la dure dans des chaudrons comme Perpignan ou Castres. Puis l’adage a évolué en un second acronyme, un peu plus bourrin : BTOJBOTR – Bugger The Odds Just Bet On The Red. Parce qu’au fond, comme le Munster se moque complètement de la forme du moment, de la logique ou du bon sens… pourquoi on ne ferait pas pareil ? Et c’est comme ça que certains se sont refaits la cerise. Comme moi, aujourd’hui, avec mon petit euro du week-end qui s’est transformé en trois. Et promis, je vais les dépenser avec la plus grande sagesse.

Il faut bien le reconnaître : dans cette flopée de matchs que les bookmakers avaient sagement cochés comme huit victoires à domicile quasi certaines, le duel Stade Rochelais–Munster (cote un peu douteuse de 1/4 contre 14/5) semblait être le seul à offrir une étincelle d’espoir. Pour les équipes en déplacement, oui. Mais surtout pour les parieurs radins dans mon genre. Et visiblement, une étincelle, c’est tout ce qu’il faut au Munster pour réveiller son appétit féroce pour cette compétition. Honnêtement, je ne sais pas comment ils font. Je ne suis même pas sûr qu’eux-mêmes sachent comment ils font. Mais ils le font, et c’était un bonheur à regarder.
Enfin… pas tout à fait. Pas dans ce final à vous donner une crise cardiaque à tout bout de champ, où l’idée de toucher un petit billet était balayée par une autre, plus prosaïque et nettement plus angoissante : allais-je vivre assez longtemps pour l’encaisser ? Trois minutes sans respirer — volontairement ou pas — ce n’est pas recommandé quand on a passé la soixantaine et qu’on avance à petits pas dans ce que certains médecins appellent « l’allée du sniper ». Mais la hargne façon chien de la casse du Munster et le sang-froid de Jack Crowley ont suffi. Et le fait que ce soit Ronan O’Gara, de toutes les personnes possibles, qui se fasse sortir d’Europe par un geste aussi classe et maîtrisé d’un ouvreur du Munster… prouve au moins une chose : l’ironie, elle, se porte toujours très bien.
Ces huitièmes de finale ont surtout confirmé ce qu’on voyait déjà en poules : quasi aucune victoire à l’extérieur, pas assez de vrai suspense, et beaucoup trop de branlées.
Mais il faut aussi souligner que Benetton Rugby n’est vraiment pas passé loin de réaliser un hold up du même genre, du côté de Castres. Portés par cinq essais à la cool, les Italiens ont fini par manquer de jus dans l’avant-dernière minute, au moment où les Français, malgré leur indiscipline chronique, ont réussi à se faufiler en quarts pour la première fois en 23 ans. Pour Benetton, pas de doute, c’est un coup de massue sur une jambe déjà bien amochée, d’autant que c’est uniquement à la différence de points en phase de poules qu’ils avaient perdu le droit de recevoir en huitièmes — leur tout premier à ce niveau-là. Verre à moitié plein ou verre à moitié vide ? Dans tous les cas, c’est une tristezza qui ne se noiera pas dans un seul verre de prosecco.
Dans un cadre plus large, ces huitièmes de finale ont surtout confirmé ce qu’on voyait déjà en poules : quasi aucune victoire à l’extérieur, pas assez de vrai suspense, et beaucoup trop de branlées. Même avec deux matchs qui se sont joués à la dernière seconde, l’écart moyen à la sirène est resté le même qu’en poules : une vingtaine de points, bien lourds à digérer. Espérons que la suite sera un peu plus tendue. En tout cas, elle devrait l’être.

Mais bon, difficile de faire la fine bouche quand huit matchs sous un soleil assommant nous ont offert pas moins de 80 essais, dont certains — Baptiste Serin, Ange Capuozzo, messieurs, chapeau — étaient tout simplement somptueux. Et dans le coup d’éclat le plus étincelant du week-end, le Leinster a pulvérisé de pauvres Harlequins sans défense, dans une démonstration qui, comme la publication d’Ulysse de James Joyce dans la même ville il y a un siècle, a été saluée par une forme de « louange mêlée de terreur ». Disons les choses franchement : prendre 62 points par le Leinster, ça ne surprend plus grand monde. Mais d’habitude, les Quins mettent au moins 51 de leur côté. Là ? Que dalle. Rien. Zéro. Ils ont fini le match posés sur le bord de l’assiette, comme un vulgaire noyau de prune qu’on a recraché.
Et globalement, le week-end a été rude pour la Gallagher Premiership. Les Glasgow Warriors ont traversé Leicester comme un nuage de criquets dans un champ de maïs. Les Sale Sharks ont été balayés par le Stade Toulousain — note pour plus tard : ne jamais embêter un ours chez lui. Et le RC Toulon a empilé six douzaines de points contre les Saracens dans un match aussi fou qu’une émission de Patrick Sébastien. Mark McCall s’était fait tailler la semaine dernière pour être venu, en gros, uniquement avec un couteau pour disputer un duel au bazooka. Mais après avoir collé 35 points aux Toulonnais… en première mi-temps (la dernière fois que ça leur est arrivé, c’était quand ?), peut-être que lui et son groupe rajeuni et élargi ont mis le doigt sur quelque chose qui pourrait relancer leur saison domestique. « Beaucoup de choses à aimer, beaucoup à apprendre, et beaucoup de fierté », a résumé l’astucieux McCall. À suivre.
Quand trois chiens se battent pour un os, faut pas s’étonner si c’est un quatrième qui vient le chiper tranquillou.
La seule éclaircie anglaise est venue des Northampton Saints qui, cette saison, jouent les lions en Europe et les agneaux en Premiership. Je ne vais pas mentir : c’est un vrai mystère. Mais leur démolition méthodique d’un Clermont malin et roublard était une petite œuvre d’art. De larges coups de pinceau en attaque, terminés — inévitablement, sans doute — par une touche façon Pollock. Ce gamin-là, franchement, il n’a pas besoin de service marketing.
Mais au-delà du Leinster, c’est surtout la puissance brute du gratin du Top 14 qui a de nouveau tapé dans l’œil. La bonne nouvelle pour les autres ? Ils sont tous coincés dans la même partie haute du classement, façon peloton d’exécution. Un seul ira en finale, et honnêtement, ça peut être n’importe lequel. Cela dit… on ne serait pas à l’abri d’un coup du Munster. Quand trois chiens se battent pour un os, faut pas s’étonner si c’est un quatrième qui vient le chiper tranquillou.

Et il est certain que les vaillants Saracens, l’intrépide Ulster et les accrocheurs Sale Sharks ont tous prouvé que les Trois Mousquetaires pouvaient être bousculés, même sur leurs terres. Était-ce de la suffisance côté français ? Peut-être. Mais même si c’était le cas, peuvent-ils être secoués pendant 80 minutes complètes ? Voilà la vraie question, et on soupçonne que seul Leinster pourrait bien avoir la réponse.
Alors, a-t-on appris quoi que ce soit à l’approche des quarts de finale ce week-end ? Peut-être pas, étant donné que les parieurs avisés gravitent toujours autour des quatre favoris désignés dès décembre. En vérité, mis à part le derby Rouge et Noir — et bon courage pour le pronostic — il faudra peut-être attendre les demi-finales pour ressentir une vraie montée de tension.
Mais, ici et maintenant, les huit derniers encore en lice nous offrent ce week-end : UBB/Munster ; Leinster/Glasgow Warriors ; Northampton Saints/Castres Olympique ; et enfin, le fameux RC Toulon/Stade Toulousain. Et, chose étonnante, alors qu’on pourrait sans problème écouler 60 000 billets pour ce choc, les Toulonnais ont choisi de ne pas délocaliser le match, ni à Nice ni à Marseille, mais de le maintenir chez eux, au Stade Mayol. Un point pour le staff, zéro pour la billetterie. Cela pourrait bien s’avérer être une décision avisée… mais coûteuse.
Une chose est sûre : à mesure qu’on avance d’un week-end à élimination directe à l’autre, le marché des cotes a évolué, même si ce n’est pas encore un véritable séisme. Les cotes de Northampton pour la victoire finale se sont un peu resserrées (14/1), tout comme celles de l’UBB (7/2), mais c’est Leinster qui apparaît désormais comme le favori (5/4), juste un cheveu devant le Stade Toulousain (inchangé à 13/8). Le RC Toulon reste une tentation douloureuse (22/1) — désolé, mais c’est une cote complètement folle pour une équipe avec un Baptiste Serin aux commandes — et si le Castres Olympique reste le véritable outsider, c’est le Munster qui enregistre le plus gros bond chez les bookmakers : 100/1 la semaine dernière, ramené à un piquant 50/1 aujourd’hui. Et si ça, ce n’est pas une bonne raison de risquer un autre euro chèrement gagné, alors je ne sais pas ce que c’est.
Publié initialement sur RugbyPass.com, cet article a été adapté en français par Willy Billiard.
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