Justine Pelletier : « Il ne s’agit plus juste d’appliquer un système, mais d’oser »
Justine Pelletier, demi de mêlée de l’équipe féminine du Canada et des Lionnes du Stade Bordelais, nous partage son quotidien alors que le Canada dispute le Pacific Four Series contre les Etats-Unis (le 3 mai), la Nouvelle-Zélande (le 17 mai) et l’Australie (le 23 mai).
On est arrivées il y a une dizaine de jours à Christchurch. On avait une petite semaine de transition pour se remettre du voyage, récupérer après le match (contre les Etats-Unis à Kansas City, remporté 26-14, ndlr), et de se préparer comme il faut. Ensuite, on a eu cinq ou six jours où on a vraiment pu pousser le contenu des entraînements pour être prêtes pour ce match.
Aujourd’hui, je suis plutôt en mode relax. On revient d’un après-midi au spa. On a eu la chance de vivre cette expérience ici à Christchurch. J’adore ce type de récupération, ça me fait beaucoup de bien. Et on a même eu l’occasion d’aller dans la mer, ce que j’apprécie encore plus. L’eau de la mer, pour moi, c’est encore plus revigorant.
Justine Pelletier slips through to open the scoring for Canada! 😮💨#USAvCAN | #PacificFourSeries | #PAC4 | @RugbyCanada pic.twitter.com/wmVatnpBdu
— World Rugby (@WorldRugby) May 3, 2025
Cette parenthèse nous a vraiment permis de récupérer après une semaine bien chargée parce que la tension est quand même élevée à l’entraînement, surtout avant les sélections. On n’a pas toujours des moments où on peut vraiment faire une pause, respirer, penser à autre chose. C’est important, ça fait partie de l’équilibre. Il faut savoir monter en intensité, mais aussi redescendre. Et deux jours avant le match, c’est le bon moment pour le faire. Sinon, la tension reste trop haute, et ensuite, c’est le stress qui prend le dessus.
La tournée, avant-goût de la Coupe du Monde de Rugby féminine
Cette tournée, c’est une vraie opportunité pour nous. On n’a pas énormément de financement au Canada, donc c’est une des compétitions qui est soutenue en partie par World Rugby, et ça nous permet à la fois de jouer et de jouer ensemble.
En termes de calendrier, c’est aussi une période idéale. On a environ trois mois pendant lesquels on peut évoluer progressivement, pour atteindre notre niveau de performance à la Coupe du monde. Ce n’est pas trop tôt dans l’année, donc on ne se met pas une pression prématurée, mais ce n’est pas trop tard non plus. C’est un juste milieu. Ça nous laisse le temps de nous préparer, de retrouver nos repères, nos automatismes, parce qu’on ne s’était pas vues depuis six mois, depuis le WXV. Et notre système de jeu est différent de celui des clubs, donc il faut une période de transition, et là, on est en plein dedans.
Par contre, ça fait quatre semaines que je suis partie de Bordeaux. Et quelque part, même du point de vue logistique et mental, on est un peu dans une configuration Coupe du monde. Être loin de ses repères pendant longtemps, vivre en équipe, avec les mêmes personnes tous les jours… Sur le plan mental, ça joue, clairement.
Hard at work 🔨🦺
Preparations continue for the Pacific Four Series match against the New Zealand Black Ferns on Friday May 16 at 8:35pm PT/11:35pm ET! 🇨🇦🇳🇿
Watch live on TSN4 and TSN+ 💻📺 #RugbyCA | #OneSquad | #MWRWC | #PacificFourSeries | @nfpca pic.twitter.com/h0OeMyaJWb
ADVERTISEMENT— Rugby Canada (@RugbyCanada) May 15, 2025
C’est un peu un avant-goût, parce que la Coupe du monde, c’est deux fois plus long. Pour l’avoir vécu la dernière fois (2022 en Nouvelle-Zélande, ndlr), c’est vrai que c’est deux mois, et c’est deux mois loin de tout. Cela dit, avec le Canada, on est un peu habituées à ça. Contrairement au Six Nations, où il y a des pauses entre les blocs, nous, dès qu’on part, c’est pour trois, quatre, parfois cinq ou six semaines. On est habituées à la distance, au mode de vie en tournée.
Mais pour la Coupe du monde, c’est sûr que ce sera encore autre chose. Huit semaines, c’est long. C’est un vrai défi.
Briser la glace
L’an passé, on a battu la Nouvelle-Zélande pour la première fois de notre histoire et aujourd’hui, en termes d’état d’esprit, oui, je me sens en confiance. Je connais l’environnement, je sais que c’est possible. Mais on ne sous-estime jamais notre adversaire. On connaît la Nouvelle-Zélande, on a vu ce qu’elle a réalisé lors de la dernière Coupe du monde, jusqu’à la finale. Il faut garder une forme d’humilité, tout en gardant notre confiance. Parce que c’est la confiance qui permet d’exécuter, de performer. Et l’humilité, elle permet de ne pas tomber dans l’excès de confiance.
Les Black Ferns restent de grandes rivales. Ce ne sera pas un match facile. Ce seront 80 minutes très disputées. Mais le fait d’avoir brisé la glace l’année dernière, avec cette première victoire contre elles, c’est sûr que ça change la perspective. On sait que c’est possible. Et maintenant, on ne vise pas seulement la victoire : on veut une vraie performance, on veut construire quelque chose. Ce qu’on cherche dépasse le simple score à la fin du match.
Le Canada est redevenu une puissance conquérante
Je me souviens, il y a quelques années, on prenait vraiment des grosses défaites… et c’était dur. Comme en 2017 contre l’Angleterre après la coupe du monde où l’équipe a connu beaucoup de changement. Et on n’avait pas autant d’opportunité de jouer des matchs tout court. On a toujours gagné contre des équipes bas de tableau, mais on stagnait en 5e et 4e position mondiale pendant quelques années et il nous manquait ce truc en plus pour joindre le top 3-4 mondial. C’était surtout crève cœur parce qu’on était proche mais loin en même temps. On n’arrivait pas à franchir l’étape de plus. A gagner les gros matchs, quand je pense à cette demi-finale contre l’Angleterre et finale de bronze contre la France. C’était frustrant d’être dans cette position.
Et puis, en quelques mois, tout s’est renversé. Aujourd’hui, on est la deuxième nation mondiale.
Aujourd’hui, on est n°2 au monde. Ce n’était pas forcément évident de l’extérieur, mais nous, de l’intérieur, on savait. On savait qu’on progressait, qu’on construisait. Mais maintenant qu’on bat de grosses nations, ça se voit.
Qu’est-ce qui a changé ? Je pense que c’est d’abord un changement de mentalité. Une évolution dans notre manière de vivre le rugby. Beaucoup de joueuses sont parties à l’étranger pour progresser, pour être dans un environnement 100 % rugby. Résultat : plus d’expérience, plus de temps de jeu, plus de manipulation de ballon. Le niveau individuel a augmenté, et donc le collectif a suivi.
L’engagement individuel porte le collectif
Il y a aussi un vrai engagement de la part de toutes. Des filles ont mis leur vie au Canada entre parenthèses pour aller jouer en Angleterre, pour se confronter à des cultures rugby plus installées. Tous ces choix ont nourri la progression collective.
Et puis moi, aujourd’hui, j’ai pris un peu de responsabilités. Ça fait huit ans que je suis dans le programme national. Maintenant, je fais partie des leaders et je me sens de plus en plus en confiance. Ce sont des coéquipières avec qui j’ai beaucoup joué. J’aime beaucoup l’aspect analyse, poser des questions, réfléchir aux meilleures options. J’apprécie ce rôle où je peux proposer des analyses vidéo, lancer des discussions sur différents thèmes de jeu qu’on peut retrouver en match.

Aujourd’hui, on est n°2 au monde. Ce n’était pas forcément évident de l’extérieur, mais nous, de l’intérieur, on savait. On savait qu’on progressait, qu’on construisait. On était là, on était compétitives. Mais maintenant qu’on bat de grosses nations, ça se voit. On fait partie des équipes du haut de tableau.
Ce que Kevin Rouet a apporté
L’arrivée de Kevin (Rouet, le coach, ndlr) a aussi eu un impact très fort sur le groupe. Il nous a poussées à nous challenger, à devenir des joueuses différentes. Des joueuses qui se posent des questions, qui cherchent constamment à progresser. Il ne s’agit plus juste d’appliquer un système, mais d’oser, d’ouvrir le jeu, de saisir les opportunités.
Au début, ça n’a pas été simple. Le rugby, au Canada, ce n’est pas le sport national. Il arrive tard dans la vie des joueuses, donc l’instinct, ce n’est pas quelque chose de naturel pour tout le monde. Et là, on nous demandait d’être plus instinctives, plus réactives. Ça a créé de la frustration, de la confusion. On a connu pas mal d’échecs.
Mais on a insisté. On a persévéré. C’est vraiment le groupe qui a porté cette transformation. Les filles ont dit : « Ok, j’y vais. » Avant chaque entraînement, on prenait cinq minutes pour travailler cette passe sans regarder, une passe dans le dos. On a travaillé les détails, encore et encore. Et à force, les résultats ont suivi.
Il ne faut pas avoir peur d’essayer. Si tu fais une erreur, ce n’est pas grave. Si tu penses que c’était la bonne décision à ce moment-là, alors c’était la bonne chose à faire. Et la prochaine fois, tu réussiras.
Ce que Kevin a apporté de spécial, c’est cette manière de voir le rugby, mais aussi cette idée qu’il ne faut pas avoir peur d’essayer. Si tu fais une erreur, ce n’est pas grave. Si tu penses que c’était la bonne décision à ce moment-là, alors c’était la bonne chose à faire. Et la prochaine fois, tu réussiras. Il nous pousse à être courageuses, à faire des choix difficiles dans le jeu, à oser.
Il valorise aussi énormément le travail de l’ombre. Il met en lumière celles qui vont bosser dans les rucks, celles qui font le premier soutien. Ce sont des actions qui ne se voient pas toujours, mais pour lui, ce sont ces gestes-là qui permettent à l’équipe de marquer. Ce n’est pas seulement la dernière passe ou celle qui aplatit le ballon. C’est ce qui s’est passé avant. Et ça, ça donne une vraie reconnaissance à tout le monde sur le terrain.
C’est quelque chose qui change l’état d’esprit : tout le monde se sent utile, valorisé, à la hauteur de son rôle. Et ça renforce énormément la cohésion du groupe. Il y a une vraie fierté à faire partie de cette équipe.

Un collectif, deux langues
Entre francophones, on se parle en français, évidemment. Quand il y a des anglophones autour, on passe parfois à l’anglais, mais on essaie d’inclure le plus possible notre langue. On veut que les gens autour de nous puissent l’entendre, la découvrir. Et beaucoup font l’effort d’apprendre quelques mots, quelques expressions. Dans une conversation, même quand c’est en anglais, il y a souvent un mot ou deux qui ressortent en français.
View this post on Instagram
Kevin, lui, il alterne. Quand il est avec les francophones, il parle en français. Quand il est avec le reste du groupe, c’est anglais. Mais il glisse souvent des expressions françaises dans ses échanges en anglais, et ça fait rire les anglophones, surtout quand l’expression ne se traduit pas vraiment.
Ce que j’aime bien, c’est qu’on tient à garder le français présent dans l’équipe. Quand j’ai commencé, avec les U20, on n’était que deux francophones, donc tout se faisait en anglais. Maintenant, certains entraîneurs sont bilingues, ils glissent quelques mots en français dans les présentations. Ce n’est pas grand-chose, mais ça compte. On chante l’hymne national en version bilingue. Il y a une vraie attention portée à notre langue. Les gens sont impressionnés qu’on parle deux langues, mais aussi très curieux, ils veulent apprendre.
On avait fait une petite vidéo à ce sujet sur Instagram avec Olivia Apps, qui fait de vrais efforts. Elle parle très bien français. Souvent, c’est juste la peur de se tromper qui freine les gens. Mais beaucoup ont déjà une bonne base. Sophie De Goede, aussi. On lui a dit : « Tu parles bien français, continue. » Ensuite, on a même fait des réunions en français avec elle. C’était un vrai plaisir, pour nous les francophones, mais aussi pour Kevin, je crois, qui apprécie aussi de pouvoir s’exprimer dans sa langue première, de temps en temps.
Actus, exclus, stats, matchs en direct et plus encore ! Téléchargez dès maintenant la nouvelle application RugbyPass sur l'App Store (iOS) et Google Play (Android) !