L’incroyable odyssée de Thierry Futeu, du Cameroun à l'équipe d'Espagne

Par Francisco Isaac
MADRID, SPAIN - FEBRUARY 27: Thierry Futeu of Spain (R) tackles Marius Simionescu of Romania (L) during the Rugby Europe Championship match between Spain and Romania at Estadio Central UCM on February 27, 2022 in Madrid, Spain. (Photo by Alvaro Medranda/Eurasia Sport Images/Getty Images)

Alors que la plupart de ses futurs partenaires en équipe d’Espagne couraient avec le maillot de leur club sur le dos, Thierry Youtcheu Nyami courait, lui, pour sauver sa peau. Littéralement. Il courait pour échapper à la pauvreté, à son destin, et réaliser un rêve d’enfant profondément ancré.

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Le pilier, originaire du Cameroun, a transformé son nom en Thierry Futeu quand il a reçu la nationalité espagnole. Le point final d’un voyage harassant démarré à Douala et achevé au niveau international du rugby de son pays d’accueil. Un voyage marqué par les vols, le désespoir, et la clandestinité.

Adolescent talentueux, Futeu quitte le Cameroun en 2013. Direction le Maroc, où on lui avait fait miroiter un contrat de joueur professionnel. Son père ne voyant pas le rugby d’un bon œil, Futeau n’en parle à personne. Mais l’accord promis était une parole en l’air. Le voilà sans un sou, en proie à la peur, loin de chez lui.

« Je revenais systématiquement de l’entraînement avec mon tshirt sale et déchiré », raconte Futeu à RugbyPass. « Mon père préférait que je continue mes études, mais je n’avais que le rugby en tête. Je n’ai jamais aimé étudier, et ç’a empiré quand j’ai décidé de tenter ma chance dans le rugby professionnel. J’avais 18 ans. J’ai été appelé pour un stage des moins de 20 ans du Cameroun et pour disputer quelques matchs amicaux. J’en ai profité pour discuter avec quelques gars qui jouaient déjà à l’étranger. Ç’a été le point de départ de la suite. »

« Malheureusement, le contrat pro au Maroc, c’était des foutaises. Ils m’ont menti sur le niveau du club, sur les installations. Moi, je voulais juste trouver un moyen d’aider ma famille. On n’était pas pauvres, mais on avait besoin d’argent. »

« Les problèmes ont commencé au Niger, quand je me suis fait voler. Ils m’ont tout pris : mes papiers, mon argent, mes vêtements… Tout ! Il fallait que je téléphone chez moi, mais je savais que ça n’allait pas bien se passer, vu que j’étais parti sans les prévenir. Mon père m’a dit qu’il allait m’envoyer de l’argent, mais à condition que je rentre. Je ne l’ai pas fait, et j’ai payé des gens pour qu’ils m’aident à retourner au Maroc. J’ai dû faire un détour par l’Algérie, là-bas j’ai travaillé dans une oliveraie, puis j’ai rejoint le Maroc. »

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Futeu n’avait d’yeux que pour l’Espagne, si proche, mais désespérément hors de portée par-delà la mer d’Alboran. Une vie meilleure, une chance de jouer le jeu qu’il aime.

 

INT Le policier qui me poursuivait est tombé, et avant qu’il n’essaie de se relever, j’ai ramassé une pierre et j’ai fait semblant de la lui jeter à la tête. Il a sursauté, s’est arrêté, et je me suis dit que c’était ma dernière chance de courir vers la frontière.

 

« Au Maroc, j’ai pu compter sur le soutien d’une famille qui m’a ramassé dans la rue et ouvert ses portes. J’ai travaillé dans le restaurant familial, ce qui m’a permis de gagner un peu d’argent et de passer à l’étape suivante : franchir la frontière. Je savais que ça allait être coton, que ça coûterait du temps et des efforts, mais je n’avais pas le choix. Pour moi, pour ma famille, et pour le rêve que j’avais. »

La frontière entre le Maroc et l’Espagne est l’une des mieux gardées au monde, étant un passage obligé pour beaucoup de migrants rêvant d’Europe. Il a fallu trois tentatives à Futeu pour atteindre la ville de Melilla, exclave espagnole en territoire marocain, puis trouver un camp de réfugiés. Il se souvient encore de la date et de l’heure exactes de son passage, un sprint matinal motivé par la peur, mais qui a changé sa vie.

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« C’était le 28 mai 2014. La finale de la Ligue des Champions s’était jouée le 24, et tout le monde au Maroc avait regardé Real Madrid – Atletico Madrid. À 5h du matin, mon groupe s’est réveillé. On a fait nos sacs et on a foncé vers la forêt de Gorogo. Il y a bien eu quelques embûches. Tout d’abord un hélicoptère qui passait et repassait au-dessus de nos têtes. Certains ont préféré faire demi-tour. Avec quelques autres, j’ai décidé de continuer. Je ne pouvais pas faire machine arrière. »

« Après quelques minutes de marche, une voiture de police a essayé de nous couper la route et nous a poursuivis. Ils ont séparé le groupe en deux. Le policier qui me poursuivait est tombé, et avant qu’il n’essaie de se relever, j’ai ramassé une pierre et j’ai fait semblant de la lui jeter à la tête. Il a sursauté, s’est arrêté, et je me suis dit que c’était ma dernière chance de courir vers la frontière. Par chance, quelqu’un m’a aidé à escalader la rambarde. Ensuite, j’ai de nouveau sprinté jusqu’au camp de réfugiés ».

Futeu a mené sa mission à bien. Là-bas, au sein du camp, il commence à apprendre l’espagnol, subit un examen de santé approfondi. Et, même au milieu de tous ces traumatismes et bouleversements, il trouve du réconfort dans le sport.

« Il y avait une équipe de rugby à XIII, Griffón, qui s’entraînait près du camp et j’ai tenté ma chance avec eux. Après quelques semaines, j’ai déménagé à Malaga, puis à Madrid, où mon parcours de rugbyman a commencé. Mon équipe s’entraînait toujours à l’Estadio Universitario de Madrid. Un jour, je suis arrivé en avance à l’entraînement et j’attendais mes coéquipiers. Mais de loin, j’ai vu trois policiers venir dans ma direction. Je me suis dit : ‘Je suis foutu. Où puis-je me cacher ? Dois-je me cacher ? Un million de pensées se sont bousculées dans ma tête, puis j’ai réalisé quelque chose : c’étaient mes coéquipiers. Je jouais dans une équipe de flics ! »

‘Titi’, comme tout le monde l’appelle, a alors tout raconté à ses coéquipiers. Ils lui ont fait la promesse de l’aider dans ses démarches administratives. Une famille, c’est ainsi qu’il désigne son équipe. Et pour la première fois depuis longtemps, il a le sentiment d’être chez lui.

Son talent sur le terrain ne tarde pas à le mettre en lumière. Alors qu’il dispute un tournoi de Sevens en 2015, il est repéré par les Alcobendas, un club qui lui offre un contrat semi-professionnel et un travail.

Il passe de la 3e à la 1re ligne, évolue en Division de Honor, le championnat d’élite espagnol. Puis, une fois éligible répond à l’appel de l’équipe nationale.

As their son battled thieves, immigration officers and life far overseas, what did Futeu’s parents make of all this?

Qu’en pensaient ces parents, alors que leur fils menait une vie loin de chez eux, en proie aux voleurs, aux officiers de l’immigration ?

« Mes parents étaient fiers de moi, et ils le sont toujours. Mais ils m’ont avoué qu’ils avaient mal dormi pendant presque trois ans, toujours à se demander où j’étais, avec qui, si on s’occupait de moi, si j’avais à manger… »

« Je me souviens que j’ai appelé mon père pour lui dire que l’Espagne voulait que je joue pour elle. Il m’a tout de suite répondu : ‘Tu dois accepter. Ils t’ont accueilli, nourri, offert une carrière. Ils t’aiment. C’est la meilleure façon de les remercier pour tout ce qu’ils ont fait pour toi’. »

« Jouer avec le maillot des Leones, c’était mon but depuis que j’ai franchi la frontière. Je ne pouvais pas m’arrêter de pleurer quand j’ai entendu l’hymne national pour ma première sélection. Tous les souvenirs du Cameroun, du Niger, du Maroc et des premiers temps en Espagne sont remontés. J’avais réussi. »

Son impact sur la scène internationale fut tel que le joueur de 28 ans a rejoint le Stade Français en 2019. Des U20 du Cameroun en passant par un statut de réfugié en Espagne, il avait atteint des hauteurs vertigineuses en rejoignant le Top 14.

« C’était juste incroyable. J’ai rencontré Sergio Parisse, Ramiro Herrera, et quelques autres personnes qui m’ont aidé à prendre mes marques. Je garde des souvenirs formidables de cette saison. J’avais notamment marqué un essai contre les Zebre en plongeant dans l’en-but depuis un ruck. Cette saison m’a beaucoup apporté, je suis devenu un meilleur joueur. »

Un an plus tard, le Covid-19 mettait en suspens le sport professionnel. Futeu partait ensuite à à l’US Carcassonne, en Pro D2. Une expérience marquée par sa volonté de poursuivre sa carrière internationale.

« Tout allait bien entre Carcassonne et moi, mais ma décision de continuer à jouer pour l’Espagne a creusé un fossé entre le club et moi. En fin de compte, mon contrat n’a pas été renouvelé, car ils voulaient un pilier de club, et non pas un pilier international qui manque entre cinq et huit matchs par an. »

En cours de route, il devient citoyen espagnol et comme le stipule la loi, il a dû prendre le nom de famille de sa mère. La nouvelle lui est parvenue de manière inattendue.

« J’étais en route pour le Cameroun pour y passer quelques jours quand Rodrigo Contreras, un journaliste espagnol, m’a téléphoné pour me féliciter. Me féliciter de quoi ? Pourquoi ? Il m’a dit : ‘Pour ta naturalisation ! Elle a été validée. La fédération ne t’a rien dit ?’ À croire que ni mon avocat ni la fédé n’avaient vérifié l’avancée du dossier. C’est assez incroyable, d’une certaine manière !

Revêtir le maillot rouge et jaune de l’Espagne a été une expérience fantastique pour Thierry Futeu, mais aussi frustrante. Los Leones ont été écartés de la Coupe du Monde 2023 pour avoir aligné un joueur non autorisé durant un match de qualification. La Roumanie et le Portugal, leurs rivaux dans le Europe Championship, étaient allés en France à leur place.

« On l’a tous mal vécu, surtout ceux qui ne seront plus là en 2027 et ceux qui avaient déjà manqué 2019. Je savais que de mon côté, il me restait la possibilité de jouer au moins une ou deux Coupes du Monde, mais pour certains de mes coéquipiers, cela a signifié la fin de leur carrière internationale. »

L’Argentin Pablo Bouza a repris les commandes de la sélection ibérique, avec un objectif inchangé : la qualification pour le prochain Mondial.

« Il a apporté beaucoup de changements positifs. Il est à l’écoute des joueurs et aime comprendre ce qu’on a en tête ou comment s’entraîner plus efficacement. Je sais qu’on sera à la prochaine Coupe du Monde. L’équipe a un gros potentiel, et si on parvient à aligner notre meilleure équipe et à jouer avec la même intensité et la même passion, on peut même gagner le Rugby Europe Championship. »

« L’Espagne a les moyens de se faire un nom dans le monde du rugby. On est bons au foot, au hand, au basket, en boxe, dans les sports mécaniques. Pourquoi pas en rugby ? On va y arriver. »

Futeu joue aujourd’hui à Chartres, en Nationale. Son histoire est extraordinaire, peut-être sans équivalent dans le rugby international. Mais il ne peut pas encourager d’autres à suivre sa voie. Il espère aider d’autres joueurs camerounais en herbe à trouver une voie plus sûre et légale vers le rugby professionnel.

« La peur ne m’a pas quitté tout au long de mon voyage jusqu’en Espagne. C’était dangereux, fou, et ça aurait pu finir mal pour moi. Je veux créer un programme pour les jeunes qui souhaitent passer pro, leur faciliter les choses. Je serai toujours Camerounais, mais je suis Espagnol. J’adore cet endroit, pour tout ce que les gens ont fait pour moi, ils m’ont ouvert leur maison et soutenu mon rêve. Je ne peux qu’avoir le sourire ! Je leur dois tout, à eux et à l’Espagne. »

 

Cet article a été initialement publié sur le site anglais de RugbyPass et a été traduit en français par Jérémy Fahner.

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W
Wayneo 4 hours ago
Speeded-up Super Rugby Pacific provides blueprint for wider game

Some interesting stats that just proved what my first impression of NZ’s drive to speed up Rugby Union would amount to - fine margins here and there to cut a few seconds off the game and nothing else. To do more there would have to be wholesale changes to the game like doing away with scrums, lineouts and bringing back the ELV’s to have free kicks instead of penalties. Very little chance of it happening but, in the end, Ruby Union would be a 15-man version of Rugby League. There are reasons why Rugby Union is globally more popular that Rugby League and what NZ are also not considering is the unintended consequences of what they want to achieve. This will end up turning Rugby Union into a low value product that will not be acceptable to the paying public. If people really wanted a sped-up version of rugby, then why is Rugby Union globally way more popular than Rugby League? Rugby lovers all over the world are also not stupid and have seen through what NZ are trying to achieve here, selfishly to bring back their glory days of dominance over every other nation and compete with Rugby League that is dominant in Australasia. NH countries just don’t have the cattle, or the fantastic weather needed to play like NZ SR franchises do so good luck to whoever has to try and convince the NH to accept going back to the days of NZ dominance and agreeing to wreck the game in the process. I have serious doubts on the validity of the TV stats presented by GP. All they did was expand the broadcasting base by putting it on free to air, not even any indication of arresting the continued drop in viewership. Match day attendance goes hand in hand with broadcast ratings so if there was an increase in the one you should expect to see it with the other. However, the drop in match day attendance is very evident to the casual highlights package viewer. The only club who looks to be getting solid attendance is the Drua. I am calling it now that NZ’s quest to speed up the game will fail and so will the vote on the 20-minute red card.

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S
Sam T 6 hours ago
Speeded-up Super Rugby Pacific provides blueprint for wider game

All of these media pundits always miss the obvious whenever they analyse what is ailing or assisting the game. Rugby always has contentious points for debate when picking apart individual games and finding fault with itself. All this focus and scrutiny on “speeding up the game”, “high ball in play” etc is all contextual to the fan. As a tv viewer, if you’re absorbed into a game, regardless if your team is playing or not, more ball in play time and action are all byproducts of the contest. A good contest subliminally affects your memory in selectively remembering all the good aspects. A poor contest and your brain has switched off because its a blowout and the result is never in doubt or it’s a real chore to watch and remain engaged throughout. The URC, Top 14 and English premiership are all competitions that feel like there’s real jeopardy each week. The dominance of Super rugby by NZ teams was unhealthy from a sustainable interest perspective. You can’t fault those teams or the players, but the lack of competitions won by SA and Australian teams long term was always going to test the faith and patience of die-hard and casual fans from those regions. SANZAR took their eye off the fans and fans voted with their feet and subscriptions. They were so concerned about expanding their product they forgot the golden rule about broadcasting live sport. Viewers tune in more when there’s an atmosphere and a true contest. You need to fill stadiums to create one, host unions need to do more to service ticket buyers, and this year proves the other, there’s more interest in Super rugby this year only because more games are competitive with less foregone conclusions. All these micro statistics bandied about, only interest the bean counters and trainspotters.

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B
Bull Shark 11 hours ago
Speeded-up Super Rugby Pacific provides blueprint for wider game

I’m all for speeding up the game. But can we be certain that the slowness of the game contributed to fans walking out? I’m not so sure. Super rugby largely suffered from most fans only being able to, really, follow the games played in their own time zone. So at least a third of the fan base wasn’t engaged at any point in time. As a Saffer following SA teams in the URC - I now watch virtually every European game played on the weekend. In SR, I wouldn’t be bothered to follow the games being played on the other side of the world, at weird hours, if my team wasn’t playing. I now follow the whole tournament and not just the games in my time zone. Second, with New Zealand teams always winning. It’s like formula one. When one team dominates, people lose interest. After COVID, with SA leaving and Australia dipping in form, SR became an even greater one horse race. Thats why I think Japan’s league needs to get in the mix. The international flavor of those teams could make for a great spectacle. But surely if we believe that shaving seconds off lost time events in rugby is going to draw fans back, we should be shown some figures that supports this idea before we draw any major conclusions. Where are the stats that shows these changes have made that sort of impact? We’ve measured down to the average no. Of seconds per game. Where the measurement of the impact on the fanbase? Does a rugby “fan” who lost interest because of ball in play time suddenly have a revived interest because we’ve saved or brought back into play a matter of seconds or a few minutes each game? I doubt it. I don’t thinks it’s even a noticeable difference to be impactful. The 20 min red card idea. Agreed. Let’s give it a go. But I think it’s fairer that the player sent off is substituted and plays no further part in the game as a consequence.

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