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Bordeaux-Bègles redessine les codes du rugby français

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L’œuf ou la poule ? C’est un peu la question que doivent se poser les observateurs du rugby français depuis la victoire spectaculaire de l’Union Bordeaux-Bègles face à Northampton (28-20) en finale de Champions Cup. Est-ce l’UBB qui a lancé une nouvelle dynamique dans le rugby tricolore ? Ou leur sacre européen est-il le prolongement direct du succès du XV de France lors du dernier Tournoi ?

Dans les systèmes modernes, on dit souvent qu’une amélioration, même minime, peut transformer l’ensemble du système. Les grandes évolutions viennent souvent de la mise en relation d’éléments plus petits, parfois invisibles, qui créent un effet d’émergence. C’est exactement ce qui semble se produire avec Bordeaux-Bègles.

Dans le paysage du Top 14, où la norme reste la puissance brute et l’impact physique, l’UBB détonne. La compétition française repose sur des gros gabarits devant, des remplacements fréquents (jusqu’à 12 autorisés plutôt que les 8 habituels), et un temps de jeu effectif souvent inférieur de deux à cinq minutes par rapport au Super Rugby, à l’URC ou à la Premiership.

Bordeaux est né de ce système, mais n’en est pas le reflet typique. Oui, l’UBB est solide devant, mais sans atteindre la taille des packs de Toulouse ou La Rochelle, les deux clubs français qui ont dominé la Champions Cup ces dernières années. À Bordeaux, les avants sont plutôt bâtis pour la mobilité, l’activité, l’intensité, plus que pour leur puissance en conquête.

Toulouse a longtemps incarné l’identité du XV de France à l’ère Dupont, mais aujourd’hui, s’il y a bien un club qui ressemble vraiment à l’équipe nationale, c’est Bordeaux. Les données comparant les stats de l’UBB en Champions Cup (phases de poules) à celles du XV de France dans le Tournoi 2025 montrent une vraie convergence dans le style de jeu.

La « révolution » française du Tournoi a vraiment démarré lors de la 3e journée, quand cinq avants toulousains ont été envoyés sur le banc dans une configuration en 7-1, tandis que des profils plus complets comme Jean-Baptiste Gros ou Mickaël Guillard étaient préférés à Cyrille Baille ou Emmanuel Meafou dans le XV de départ.

Ni Bordeaux ni l’équipe de France n’ont semblé perturbés par une possession inférieure à 50 % et aucun des deux n’a cherché à imposer un tempo en posant des rucks à répétition pour faire pression sur l’adversaire. Au contraire : ils sont parmi ceux qui enchaînent le moins de rucks et misent sur de longs jeux au pied.

Et quand ils marquent, c’est vite : souvent en moins de quatre phases, en s’appuyant sur des offloads et des attaques éclairs après turnover. Ils accélèrent encore après la pause, surtout dans le dernier quart d’heure.

Toulouse reste une base forte du XV de France depuis des années, mais l’UBB pèse de plus en plus sur le style de jeu tricolore. Le symbole fort, c’est l’entrée de Maxime Lucu dès la 28e minute face à l’Irlande, remplaçant un Antoine Dupont blessé. Ce jour-là, la France a montré qu’elle pouvait gagner un match clé sans son icône.

Avant cette rencontre, l’entraîneur de l’attaque de l’UBB, Noel McNamara, avait d’ailleurs échangé avec Bernard Jackman sur un podcast RTE, à propos de la cohésion club-sélection et de l’évolution du style français.

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Yannick Bru
Laurent Marti, président de Bordeaux-Bègles, et Yannick Bru, entraîneur de l’UBB, célèbrent la victoire avec le trophée après la finale de la Champions Cup remportée face à Northampton au Principality Stadium, à Cardiff, le 24 mai 2025. Score final : 28-20 pour Bordeaux-Bègles. (Photo : Anne-Christine Poujoulat / AFP)

Noel McNamara : « Quand la décision a été prise sur les JIFF (Joueurs Issus des Filières de Formation), ça a créé un environnement où les clubs étaient incités à faire jouer des jeunes joueurs français éligibles. Aujourd’hui, ils en récoltent les fruits, même si l’impact peut parfois mettre plusieurs années à se faire sentir. Il y a désormais une vraie structure. » 

Bernard Jackman : « L’équipe de France était vraiment en-dessous de tout, elle ne reflétait pas le niveau global du rugby des clubs. Mais la Coupe du monde à domicile en 2023 a permis aux clubs de signer un accord autour des JIFF, et ça a redonné de la valeur aux joueurs français. »

Noel McNamara : « On parle ici d’une “génération dorée”. Ils ont gagné plusieurs Coupes du monde U20, il y a une énorme profondeur de talent qui arrive, et un niveau de soutien des clubs qu’on n’avait jamais vu. Pendant les semaines de repos du Tournoi, 19 joueurs peuvent être protégés, et un groupe de 42 s’entraîne. C’est du jamais vu en termes de soutien de la part des clubs pour l’équipe nationale. L’accord a été signé avant la Coupe du monde 2023, mais ils ont réussi à le maintenir. Les présidents de clubs n’ont pas tenté de reprendre la main. Ça ne s’est pas produit. »

La discussion a ensuite glissé vers l’importance du jeu au pied et les opportunités offensives qui en découlent.

Noel McNamara : « La France, avec Dupont, Ramos et Ntamack à l’arrière, a un jeu au pied très précis et très long. Contre ces trois-là en particulier, c’est extrêmement dur de gagner la bataille du territoire. » 

Bernard Jackman : « Lorsque Shaun Edwards est arrivé (comme entraîneur de la défense), il a dit : “Je viens que si vous prenez un entraîneur du jeu au pied.” Depuis, la politique est restée la même : jouer long et dans le terrain. Le jeu au pied irlandais a toujours ce risque : à un moment, la France relève la tête, voit que “c’est jouable”, et contre-attaque. Et ils ont les joueurs pour passer le premier défenseur. Ensuite, c’est “jouer !” » 

Noel McNamara : « La France a aussi dû s’adapter quand la “loi Dupont” a été interdite. Avant, Dupont restait en couverture haute sur les longs coups de pied, ce qui protégeait le cinq de devant. Maintenant, ils sont passés au banc en 7-1. Tout est pensé pour ménager leur paquet d’avants. La plus grande différence avec l’Irlande, c’est la capacité de la France à jouer en transition, dans le désordre – après un turnover, en contre-attaque. Une fois qu’ils sont derrière toi, ils ne te lâchent plus. » 

Bernard Jackman : « L’ossature de l’UBB et de Toulouse a permis d’amener plus de clarté sur la manière de jouer ces situations. Cette attitude positive, elle vient de ces deux clubs, et on voit bien que ça s’intègre beaucoup mieux aujourd’hui qu’il y a quelques années. Beaucoup de joueurs savent exactement comment attaquer ces moments-là. L’axe Bordeaux–Toulouse est en train d’apporter énormément à l’équipe de France. » 

Le roi n’a pas encore abdiqué, mais on sent bien que le centre de gravité glisse doucement du rouge et noir vers le bordeaux et blanc. Et la manière dont la France a réussi à remplacer sans accroc « le meilleur joueur du monde » (de Toulouse) par un joueur de Bordeaux, sans y perdre au change, en est la preuve. En termes d’équilibre tactique, elle y a peut-être même gagné. L’émergence de l’UBB a modifié l’architecture du rugby français.

Maxime Lucu a été désigné homme du match à Cardiff, et c’est autant une récompense pour sa finale que pour la progression de son jeu. Quand il avait pris le relais de Dupont pendant la parenthèse Jeux Olympiques, il semblait encore hésitant, ralentissant le jeu autour des rucks.

 

Le système pensé pour Dupont – avec six avants autour du demi de mêlée – n’était pas fait pour Lucu. Mais dans son environnement naturel, avec Bordeaux en finale de Champions Cup, il a pu exprimer tout son registre.

 

 

Dans les deux situations, le demi de mêlée brouille les pistes en se plaçant comme s’il allait distribuer à gauche, avant de basculer le jeu de l’autre côté du terrain. La défense de Northampton se retrouve sur les talons, contrainte de réagir aux choix de Lucu sans pouvoir anticiper ni venir couper les extérieurs.

S’il fallait retenir une vraie différence entre les deux finalistes au Principality Stadium, elle se situe dans la qualité du jeu au pied et des retours de jeu au pied. Les Saints ont perdu deux membres de leur triangle arrière — James Ramm et George Furbank — dès les cinq premières minutes, et avec eux, toute capacité réelle à répondre au jeu au pied long de l’UBB.

Sur les 12 coups de pied qu’il a tentés, Lucu n’a connu qu’un seul déchet. Il a surpassé les trois-quarts anglais grâce à la longueur exceptionnelle de son pied droit.

 

 

Dans la première séquence, l’UBB obtient une excellente touche offensive ; dans la seconde, une belle opportunité de relance pour l’un de ses attaquants les plus dangereux, Louis Bielle-Biarrey.

L’un des casse-têtes pour la défense, c’est que Lucu est vraiment ambidextre, comme Dupont. Il peut taper aussi bien du pied gauche que du pied droit.

 

 

La qualité du jeu au pied gauche de Lucu ouvre tout le terrain et oblige la défense à s’étirer jusqu’aux deux coins du fond de terrain. Dans le deuxième exemple, c’est une situation gagnant-gagnant : si le ballon sort en touche, les Saints auront une remise en jeu défensive dans leur propre tiers ; s’il reste en jeu, le joueur le plus rapide sur le terrain, Louis Bielle-Biarrey, sera lancé à pleine vitesse.

Depuis 2019 et pendant tout le dernier cycle de Coupe du monde, Toulouse a été le pilier du XV de France. Mais aujourd’hui, c’est bien l’émergence de l’UBB qui est en train de remodeler le système en France.

Les changements opérés en cours de Tournoi, avec quatre trois-quarts bordelais titulaires et cinq avants toulousains sortis du banc, ont changé la perception de ce que les Bleus peuvent accomplir sans le grand Dupont.

Il n’y a pas eu de filet de sécurité ou de solution de secours avec Lucu comme petit général. Résultat : une moisson de huit essais et 72 points en un match et demi avec le Bordelais en chef d’orchestre. Aussi bon que soit « le meilleur joueur du monde » individuellement, il se pourrait bien que le système, lui, ait évolué dans le bon sens.

Cet article, publié initialement sur RugbyPass.com, a été adapté en français par Willy Billiard.

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