La vérité derrière les finances de la fédération néo-zélandais de rugby
Faut-il s’inquiéter des derniers chiffres dévoilés par la Fédération néo-zélandaise de rugby (NZR) qui affiche une perte nette de 19,5 millions de dollars néo-zélandais (10,5 millions d’euros) ? A y regarder de plus près, certes le déficit peut sembler important pour cet organe dont l’une des missions est de générer des profits pour les réinvestir dans le rugby néo-zélandais, mais il n’est pas inquiétant.
Il est même plus rassurant que celui révélé lors du précédent exercice où en cette saison de Coupe du Monde de Rugby, il avait explosé. Comme toutes les fédérations du monde, d’ailleurs. Car cette année-là, les All Blacks n’avaient pu disputer que deux matchs à domicile.
En revanche, la trésorerie se porte bien : après un déficit de 23,2 millions (12,22 millions d’euros) en 2023, elle a enregistré un excédent de 9,3 millions (4,9 millions d’euros) en 2024 grâce notamment au retour des All Blacks chez eux pour cinq tests avec tout ce que ça comporte en termes de billetterie, de droits TV, de sponsoring…
Mais un nuage s’annonce à l’horizon : la renégociation des droits TV pour le prochain cycle, combinée à la pression constante des provinces.
De plus, grâce aux financements issus du partenariat passé mi-2022 avec le fonds d’investissement américain Silver Lake, la NZR a pu renforcer ses réserves de trésorerie de 54,1 millions (28,5 millions d’euros), atteignant 83,2 millions de dollars (43,83 millions d’euros) en liquidités. Avec 125 millions (65,85 millions d’euros) investis à long terme, les actifs liquides dépassent désormais les 200 millions (105,36 millions d’euros).
En résumé, c’est même la situation financière la plus solide que la NZR ait connue jusqu’à présent. Mais un nuage s’annonce à l’horizon : la renégociation des droits TV pour le prochain cycle, combinée à la pression constante des provinces.
Une baisse de 30% des droits TV
L’actuel contrat avec Sky TV s’élève à 111 millions par an (58,5 millions d’euros), mais les offres actuellement sur la table pour le renouvellement se situeraient entre 75 millions (39,5 millions d’euros) par an sans le nouveau Nations Championship, et 85 millions avec (44,78 millions d’euros).
Quoi qu’il arrive, la baisse de revenus — potentiellement 26 millions (13,7 millions d’euros) ou plus chaque année — serait significative et douloureuse.
2025 home matches are locked in 🏡 pic.twitter.com/tn60KIABsu
— New Zealand Rugby (@NZRugby) December 10, 2024
La rétention des joueurs sera plus difficile, même si les stars des All Blacks continueront d’être sécurisées à n’importe quel prix, car ce sont elles qui génèrent l’essentiel des revenus. La pression se fera surtout sentir sur les contrats de niveau intermédiaire et inférieur.
Pour maximiser la valeur des droits, le rugby — notamment celui des All Blacks — pourrait être diffusé sur plusieurs plateformes d’abonnement. Les spectateurs devront probablement payer plus cher pour suivre les All Blacks si l’intégralité des matchs n’est plus sur Sky.
Le bras de fer entre les fédérations provinciales, l’association des joueurs (NZRPA) et la NZR s’est intensifié ces dernières années, culminant avec un vote massif contre la réforme de gouvernance soutenue par la NZRPA.
Les provinces ont affirmé leur pouvoir et refusé d’être écartées de la gestion du rugby. Mais c’est bien là que se situe le cœur du problème.
En 2024, les provinces ont reçu 40,5 millions (21,34 millions d’euros) de la part de la NZR, contre 43 millions (22,65 millions d’euros) l’année précédente, sans générer aucun retour sur investissement.
La fronde des provinces
Les fédérations provinciales affirment qu’elles apportent de la valeur au « pack » de droits TV vendu par la NZR à Sky. D’autres estiment que l’audience du rugby provincial est historiquement basse et que, seul, un championnat comme la NPC ne vaudrait jamais 40,5 millions.
Professionnel dans les faits, ce rugby provincial ne l’est pas sur le plan économique. Il fait semblant d’être professionnel. Sans le financement de la NZR, il s’effondrerait immédiatement. En 2023, 25 des 26 provinces étaient considérées comme insolvables sans soutien fédéral.
Cette bulle est maintenue artificiellement, avec de l’argent investi dans des programmes de haut niveau, pour jouer devant des tribunes à moitié vides.
Toute entreprise qui affiche un trou budgétaire de 40 millions chercherait naturellement à stopper l’hémorragie. Mais la NZR ne le peut pas : les provinces détiennent un pouvoir de vote suffisant pour bloquer son conseil d’administration. C’est un boulet qu’elle ne peut pas détacher.
À un moment donné, la réalité finira par rattraper la situation. Et ce moment, c’est le prochain contrat télé. Sky ne pourra plus payer autant pour un produit groupé qui ne génère pas assez d’audience. Lors du précédent cycle, Sky avait dû s’aligner sur Spark Sport, désormais retiré du marché.
Alors comment sauver le rugby provincial ? La question est délicate, et la réponse est peut-être qu’il est tout simplement irrécupérable sous sa forme actuelle.
Une nouvelle réforme à venir basée sur le modèle du Top 14 ?
Une piste radicale serait de transférer le coût des provinces à ceux qui peuvent se le permettre : via la privatisation, avec des propriétaires individuels, comme c’est le cas dans le Top 14 en France — devenu la meilleure ligue domestique au monde. Cela libérerait une grande partie des fonds que la NZR pourrait réinvestir ailleurs.
Une fois privatisées, plusieurs choses pourraient se produire.
Les unions pourraient recevoir davantage de financements grâce à des investisseurs privés, tout en rationalisant leurs dépenses. Les programmes inefficaces ou superflus seraient probablement supprimés.
Le soutien du public deviendrait alors une priorité réelle, et non un simple discours corporate. Un marché libre intéressant pour les joueurs pourrait même émerger à terme, dynamisant le championnat.
À terme, ces clubs privatisés pourraient même entrer en concurrence avec le Super Rugby Pacific sur le calendrier — ce qui représenterait un problème pour la NZR.
À terme, ces clubs privatisés pourraient même entrer en concurrence avec le Super Rugby Pacific sur le calendrier — ce qui représenterait un problème pour la NZR. Le succès de cette branche privatisée pourrait éclipser les activités propres à la fédération.
Mais il est aussi possible qu’il n’existe tout simplement pas de marché pour une telle privatisation en Nouvelle-Zélande, pays au marché limité. Le rugby provincial pourrait être jugé irréformable.
La NZR peut encore gérer les financements actuels des provinces. Mais dès le prochain contrat TV, la pression va monter.
Ce serait un désastre que les 200 millions de réserves fondent à financer un rugby provincial structurellement déficitaire. La solution la plus probable sera une baisse de financement de la part de la NZR, pour compenser la baisse des droits, ce qui mettra les provinces au pied du mur.
D’une manière ou d’une autre, les unions provinciales vont devoir se réveiller financièrement. Elles ne peuvent pas continuer à fonctionner comme aujourd’hui.
Le problème de la NZR, ce ne sont ni les All Blacks, ni le rugby féminin. Le vrai problème, ce sont les provinces, incapables de survivre par elles-mêmes.
Cet article publié initialement sur RugbyPass.com a été adapté en français par Willy Billiard.
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