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Laissé pour compte en Irlande, Joey Carbery va-t-il revenir hanter le Munster ?
Par Pat McCarry
Promis à un grand avenir en Irlande, Joey Carbery a progressivement été mis de côté. Il s’est refait une santé morale à l’UBB, qui reçoit le Munster, son ancien club, en quart de finale de Champions Cup samedi.
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Joey Carbery n’a jamais voulu quitter le Leinster. Il n’a jamais voulu quitter le Munster non plus. Samedi, un peu plus de neuf ans après ses débuts professionnels, le joueur désormais à l’Union Bordeaux-Bègles aura l’occasion de montrer aux deux provinces irlandaises, ainsi qu’à Andy Farrell, qu’ils se sont trompés sur son compte.
Cette saison, les organisateurs de la Champions Cup peuvent remercier leur bonne étoile pour le match La Rochelle – Munster en huitièmes de finale. Cette affiche a débouché sur un match à grand suspense qui a détourné l’attention des autres rencontres à sens unique du week-end. Toulouse, le Leinster, Glasgow et Toulon ont signé à l’arrivée de larges victoires tandis qu’en Irlande, l’enthousiasme est considérable autour de la nouvelle épopée du Munster.
Les moments marquants n’ont pas manqué au stade Marcel-Deflandre, avec en exergue le retour intérieur perdant de Teddy Thomas et le drop de Jack Crowley. Une action qui a dû faire du bien à l’ouvreur, qui vient de traverser cinq mois difficiles.
Le sélectionneur de l’Irlande Andy Farrell a fait de Sam Prendergast son N.10 tout en assurant que personne n’était mis de côté, avant de se mettre en retrait pour préparer la tournée des Lions britanniques et irlandais. Devenu sélectionneur par intérim, Simon Easterby a suivi la voie et Prendergast a démarré le Tournoi des Six Nations dans la peau du titulaire, jusqu’à ce que le rêve du Grand Chelem s’évanouisse contre la France. Crowley, lui, a enchainé les excellentes performances en Champions Cup et se contentait de ce qu’il avait avec l’équipe nationale.
Moins de 24 h après la victoire offerte par Crowley au Munster, l’UBB s’est à son tour qualifiée pour les quarts grâce à un autre joueur qui sait ce que cela fait de perdre la confiance de Farrell. Joey Carbery fêtait à cette occasion sa 16e apparition de la saison avec le club girondin et a semblé parfaitement intégré dans les schémas offensifs concoctés par Yannick Bru et Noel McNamara.
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Aligné aux côtés de Maxime Lucu, à la baguette d’une ligne d’attaque dévastatrice, Carbery avait tout du demi d’ouverture de niveau international expérimenté et maître de ses nerfs. Rapidement mené 19-0, l’Ulster a bien réagi un peu, mais on sentait que l’UBB pouvait accélérer à sa guise.
« Joey a été brisé par le fait d’avoir été écarté, impitoyablement, par Andy Farrell. Il ne s’en est jamais remis, et n’a jamais retrouvé ses moyens au Munster »
Difficile de ne pas faire le lien entre la désillusion de Carbery, poussé à quitter l’Irlande, et les récents déboires internationaux de Crowley. Et vu que les deux hommes s’affronteront samedi au stade Chaban-Delmas, cela mérite même que l’on s’y attarde.
Rúaidhrí O’Connor faisait partie des journalistes irlandais qui ont assisté aux matchs de La Rochelle et de Bordeaux le week-end dernier. Sur le podcast Off The Ball, en début de semaine, il a livré son analyse sur la situation de Carbery.
« Joey a été brisé par le fait d’avoir été écarté, impitoyablement, par Andy Farrell. Ils l’ont laissé tomber comme une vieille chaussette. Il ne s’en est jamais remis, et n’a jamais retrouvé ses moyens au Munster. À la fin de la saison (2022-2023, NDLR), il avait perdu sa place. Il s’est rendu en Afrique du Sud (pour la finale de l’URC contre les Stormers) en tant que 24e homme, mais Ben Healy a été choisi à sa place. Joey a dû partir pour retrouver sa forme et aimer à nouveau le rugby. On dirait qu’il est à nouveau très heureux. »
Carbery s’est révélé comme l’héritier potentiel de Johnny Sexton dès le mois de mars 2016, lorsqu’il a fait ses débuts chez les seniors avec le Leinster. Dès le début de la saison suivante, il a marqué les esprits en inscrivant deux essais lors de sa première titularisation avec le N.10. Ce soir-là au RDS Stadium, il avait été époustouflant d’audace dans son jeu offensif, dévoilant un énorme potentiel. Joe Schmidt, alors sélectionneur de l’Irlande, l’avait lui-même reconnu.
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Carbery n’avait été titularisé que cinq fois en tant que demi d’ouverture lorsque Schmidt l’a emmené pour les tests de novembre. Carbery a fêté son 21e anniversaire à Chicago et, deux jours plus tard, il est sorti du banc pour ses débuts internationaux, aidant l’Irlande à remporter une victoire historique sur la Nouvelle-Zélande. La saison suivante, il a brillamment secondé Sexton pour permettre à l’Irlande de remporter le troisième Grand Chelem de son histoire.
À la fin de la saison 2017-2018, certains médias irlandais et une partie des supporters poussaient déjà pour que Carbery dispose d’un temps de jeu plus important sous le maillot floqué du 10. L’idée était de maintenir la dynamique de victoires tout en convainquant Sexton de ne pas commencer tous les matchs afin de l’économiser. Carbery a débuté le premier test de la série contre l’Australie, mais l’Irlande a perdu à Brisbane. Fin de l’expérience. Sexton a récupéré son N.10 et l’a conservé pour tous les matchs importants jusqu’à la Coupe du Monde 2019.
Carbery a attaqué sa première saison avec le Munster comme un novice qui avait des choses à prouver, marquant six essais lors de ses dix premières titularisations à l’ouverture
Entre temps, Carbery était devenu un joueur du Munster. Schmidt, qui souhaitait que ses ouvreurs aient du temps de jeu en club, s’est entretenu avec Carbery et Ross Byrne. Byrne voulait rester au Leinster. Carbery a tenu compte des avertissements – moins de temps de jeu en club, moins d’occasions de jouer pour la sélection – s’est rallié à l’idée et a rejoint le Munster.
Carbery a attaqué sa première saison avec le Munster comme un novice qui avait des choses à prouver. Il a marqué six essais lors de ses dix premières titularisations à l’ouverture et a aidé sa nouvelle équipe à atteindre les demi-finales de la Champions Cup. Il s’est ensuite blessé aux ischio-jambiers et n’est revenu que pour une demi-finale de Pro 14 qui s’est soldée par une défaite face au Leinster.
Pour Carbery, cependant, le moment qui a le plus changé sa carrière est arrivé lors des matchs de préparation de la Coupe du monde, lorsqu’il s’est gravement blessé à la cheville en plaquant l’ancien N.8 de l’Italie, Jimmy Tuivaiti. Schmidt a insisté sur le fait qu’il n’y avait pas de fracture, mais quelque chose n’allait pas. S’il n’y avait pas eu la Coupe du Monde, Carbery n’aurait pas rejoué avant le début de l’année suivante.
Jack Carty, le joueur du Connacht, étant le seul autre ouvreur en qui Schmidt avait (à moitié) confiance, tous les efforts ont été consacrés à la rééducation de la cheville de Carbery, et à l’espoir qu’il puisse jouer malgré la gêne. Curieusement, Schmidt n’a sélectionné que deux demis de mêlée dans son groupe pour le Mondial japonais – Conor Murray et Luke McGrath – notant que Carbery avait joué N.9 à l’école et dans les équipes de jeunes du Leinster. Une pression supplémentaire inutile pour un joueur qui cherchait à se soigner et à se faire une place dans son rôle préféré.
Pour ce qui est, jusqu’à présent, sa seule participation à la Coupe du Monde, Carbery a fait trois apparitions jusqu’à l’élimination de l’Irlande en quart de finale. Par la suite, il n’a joué que deux fois pour le Munster cette saison-là. Il n’est revenu à la compétition qu’en février 2021, rappelant son tempérament et ses capacités indéniables. Il a battu les All Blacks à nouveau, puis s’est fracturé le coude. Cheville, poignet, coude : les blessures s’accumulaient et rognaient sa confiance. Sa dernière apparition sous le maillot irlandais remonte à novembre 2022 face aux Fidji. Il avait dû quitter le terrain en début de deuxième période, mis KO par un double plaquage qui a valu un carton rouge au 3e ligne Albert Tuisue.
Carbery et Crowley ont vécu l’époque des jeunes qui montent à qui tout semble permis, avant de faire l’expérience du côté le plus dur du rugby
Andy Farrell ne l’a pas retenu pour le Tournoi des Six Nations 2023, tout en admettant que « ce n’est pas comme si Joey jouait mal ». Une décision qui avait étonné, mais vite enterrée grâce à un nouveau Grand Chelem réussi par le XV du Trèfle. Sexton, malgré ses presque 38 ans, demeurait intouchable, tandis que Crowley et Ross Byrne se disputaient désormais le rôle de doublure, autrefois occupé par Carbery.
Le Munster n’a pas vraiment poussé Carbery vers la sortie mais, dès la saison 2023-2024, Crowley était incontestablement devenu le numéro un. Carbery s’est vu proposer un contrat loin de correspondre à ce qu’il estimait valoir. « Je suis meilleur que la façon dont j’ai été traité », déclarait-il après son départ pour Bordeaux. « J’espère prouver que les gens ont eu tort. »
Carbery et Crowley ont vécu l’époque des jeunes qui montent à qui tout semble permis : gavés de confiance, visant la place occupée par les tauliers. Tous deux ont dorénavant fait l’expérience du côté le plus dur du rugby. Ils en portent les cicatrices, ont traversé des moments de doute, mais affichent maintenant une motivation sans faille pour prouver ce qu’ils valent.
Si le Munster craint que Carbery ne lui joue un sale coup, l’entraîneur en charge de la défense Denis Leamy n’en laisse rien paraître. À la question de savoir si Carbery pouvait révéler des secrets à sa nouvelle équipe, Leamy a répondu : « Nous n’en avons pas du tout parlé, je vais être honnête avec vous. Nous cherchons avant tout à nous concentrer sur nous-mêmes ».
« Joey est un joueur de grande classe et cela nous a peinés de le voir partir », a-t-il ajouté. « Il est certain que c’est une perte pour le club. Mais quand quelqu’un souhaite partir, saisir une occasion de découvrir une culture différente, il faut simplement lui souhaiter simplement le meilleur. Tout le monde est heureux pour Joey et pour la façon dont les choses se passent pour lui. J’espère qu’il connaitra une grande réussite avec son club au niveau national, mais pas samedi ! »
Cet article a été publié en anglais sur RugbyPass.com et adapté en français par Jérémy Fahner.
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