Au final, pas de surprise : 3-0 pour les All Blacks. La France, avec une équipe très remaniée, s’est inclinée lors de s tournée de juillet en Nouvelle-Zélande. Et Scott “Razor” Robertson a pu continuer ses tests en laboratoire tout au long de la série.
Avant le coup d’envoi du troisième test à Hamilton, seuls trois titulaires habituels figuraient dans le XV néo-zélandais, et deux d’entre eux n’étaient même pas à leur poste de prédilection.
La France « B » a montré l’engagement qu’on attendait, solide en défense et agressive dans les zones de ruck, comme souvent avec des joueurs issus du Top 14. Mais à l’arrivée, c’était un match de deuxième niveau. Et ma prédiction de départ s’est vérifiée :
« L’équipe B française offrira un bon test aux All Blacks. Avec la densité de son pack et un banc en 6-2, elle donnera à la Nouvelle-Zélande un avant-goût utile de ce qui l’attend face aux Springboks dans le Rugby Championship. Mais il ne faut pas se tromper : ce ne sera pas une série de tests avec un grand “t”. Pas ce duel au sommet entre les cadors d’Europe et les All Blacks qu’on aurait pu espérer. Ça aurait pu être un moment marquant. »
Et le plus frustrant, côté français, c’est que cette série était prenable. Il aurait suffi d’ajouter cinq ou six cadres pour basculer le rapport de force. Si l’on regarde de près, la différence entre le groupe aligné à Hamilton et celui qui a remporté le Tournoi n’est pas si flagrante sur le plan du “player welfare”.

Sur les 23 joueurs du dernier match du Tournoi contre l’Écosse, 21 ont dépassé le seuil symbolique des 2000 minutes ou 25 matchs dans la saison 2024-2025 — le critère mis en avant par Galthié. Seulement quatre joueurs dans le groupe à Waikato respectaient encore ce cadre. Et deux d’entre eux, Bourgarit et Bamba, avaient été blessés une bonne partie de l’année. Huit avaient disputé 30 matchs ou plus, et deux – Nolann Le Garrec (34 matchs, 2088 minutes) et Gaël Fickou (30 matchs, 2018 minutes) – dépassaient largement les limites.
Imaginez ce qu’un banc avec Cyril Baille, Julien Marchand et Dorian Aldegheri aurait pu changer. L’un des meilleurs piliers gauches du monde, Baille, n’a joué que 18 matchs pour 635 minutes cette saison. Il aurait sans doute été heureux de participer davantage. À 31 ans, il ne remettra sans doute jamais les pieds en Nouvelle-Zélande au sommet de sa forme. Sans eux, la mêlée française a lâché, et les All Blacks ont pris le contrôle du territoire.
Les Bleus méritent du respect pour avoir tenu tête pendant quatre mi-temps sur six, malgré les rotations permanentes. Comme l’a dit Robertson après le match : « Ces gars-là tournent depuis 11 mois. Ils auraient pu lâcher. Mais c’est pas leur style. »
Mais le vrai problème, quand on gratte un peu la surface, c’est que Galthié n’a jamais réussi à construire sur la durée. Il n’y a eu aucune continuité d’un test à l’autre. Et ce n’est pas un hasard si les trois seuls noms qui ressortent vraiment de cette tournée de juillet sont ceux de Théo Attissogbé, Nolann Le Garrec et Mickaël Guillard. Tous les trois rentrent en Europe avec une vraie montée en valeur, après avoir montré un potentiel de très haut niveau. Mais ce sont aussi les seuls Français à avoir été titulaires lors des trois matchs. Ça veut tout dire.
Robertson, lui, et son staff, ont clairement tiré plus d’enseignements de cette série, rien que par leur façon de gérer la sélection. Il n’a pas tout recommencé à zéro à chaque match. Il a injecté du sang neuf dans une ossature stable. Il a construit des liens entre anciens et jeunes, des combinaisons entre vétérans et rookies. Et ça s’est vu. C’est ça, l’évolution.
Désormais, on sait que Fabian Holland peut sérieusement prétendre à être titulaire dans la deuxième ligne des All Blacks pour le Rugby Championship et au-delà. Tupou Vaa’i, lui, offre une option crédible en 6. Christian Lio-Willie semble prêt à assurer derrière Wallace Sititi en 8. Et Razor a désormais deux manières de composer sa troisième ligne : version lourde avec Vaa’i en 6 et Ardie Savea en 7, ou version ultra-mobile à l’anglaise, avec trois numéros 7 – Kirifi, Papali’i et Savea en 8.
Derrière, deux autres découvertes fortes. Ruben Love a assuré pour sa première à l’arrière, sans faire une seule faute. Et Noah Hotham a apporté un vrai coup de fouet quand il est entré dans le dernier quart d’heure. Interrogé par Sky Sport après le match, Razor a d’ailleurs cité Hotham comme celui qui avait vraiment apporté une valeur ajoutée tactique en sortie de banc.
« Ces jeunes vont ressortir grandis de cette expérience… On a été menés une bonne partie du match, ça nous a permis d’en apprendre beaucoup. Ils seront meilleurs après ça. »
« La France défendait à 14 devant avec un arrière très proche de la ligne, et on ne l’a pas vraiment exploité avant la fin. Noah est entré, c’est un petit demi de mêlée audacieux. Il a trouvé de superbes petits coups de pied, et même l’essai de Will Jordan vient de là. Tactiquement, on aurait sans doute pu faire mieux. »
Qu’est-ce que Razor voulait vraiment dire par là ? Quand je préparais la tournée de l’Angleterre en Nouvelle-Zélande en 2014, l’un des éléments qui m’avaient le plus marqué, c’était l’adaptation tactique des All Blacks entre le premier et le deuxième test face à la France l’année précédente. Lors du match à Eden Park, les Bleus étaient passés tout près de faire tomber les All Blacks – tout comme douze ans plus tard. La rencontre était encore indécise à l’entrée du dernier quart d’heure, et la pression exercée par les Français sur les zones de ruck avait provoqué une avalanche de turnovers.
La Nouvelle-Zélande l’avait finalement emporté 23-13, mais elle avait retenu la leçon pour le deuxième test à Christchurch. Plutôt que de s’entêter à jouer à la main, les Blacks avaient tapé 40 fois au pied et construit seulement 44 rucks. Résultat : zéro point d’impact pour la défense française, un jeu dans le dos permanent, et une victoire nette et sans appel, 30 à 0.
Le redoutable Shaun Edwards est l’actuel coach de la défense française, et cette ligne à 14, c’est sa marque de fabrique. Là où la plupart des entraîneurs n’osent l’utiliser que près de leur ligne d’en-but, Edwards, lui, n’hésite pas à la déployer jusqu’à la ligne médiane, s’il estime que l’adversaire n’a pas les moyens d’exploiter le champ profond, laissé à un seul défenseur, au pied.
À Hamilton, la Nouvelle-Zélande n’a tapé que 25 fois au pied tout en participant à 170 rucks. Et comme l’a souligné Razor, elle aurait pu – et sans doute dû – utiliser davantage le jeu au pied pour répondre plus intelligemment à ce schéma défensif répété.

L’arrière français Léo Barré couvre les deux côtés du terrain en restant à peine à 5 ou 10 mètres derrière une ligne de 14 défenseurs. Logiquement, les zones à exploiter sont donc de chaque côté de sa position. En première mi-temps, les All Blacks s’en sont approchés à plusieurs reprises : deux tentatives au pied, signées Jordan et Damian McKenzie, ont encadré un excellent coup d’œil du demi de mêlée Cortez Ratima.
Avec son gabarit (1,89m pour 90kg), Barré n’est pas facile à bouger, mais on aurait pu tester sa mobilité latérale. Ça n’a vraiment changé qu’à l’heure de jeu, avec un petit coup de pied de D-Mac, puis les 15 minutes très prometteuses de Hotham.
Les Blacks ont déjà deux neufs gauchers de haut niveau avec Ratima et Roigard. Mais Hotham apporte un truc en plus, une lecture du jeu différente, peut-être ce qu’ils avaient perdu depuis la retraite d’Aaron Smith.
Avec ou sans argument sur la gestion de la fatigue, la France peut s’en vouloir d’avoir laissé passer une vraie occasion de battre les Blacks chez eux. Avec un peu plus d’expérience à des postes clés, le scénario aurait pu être tout autre. Un triomphe historique était à portée.
Mais à force de tout changer d’un match à l’autre, Galthié repart de Nouvelle-Zélande avec les poches vides. Alors qu’un vrai festin était servi, la France n’a pas mangé. Les All Blacks, eux, ont tout dévoré. Razor sort de cette tournée avec des certitudes dans son pack, une pépite derrière, et un vrai cerveau tactique à la charnière. Mission accomplie.
Côté français, l’effet est inverse. L’attention continue de se détourner du XV national pour se recentrer sur le Top 14, cette machine qui ne cesse de grossir. La France a tranché : vive la Dévolution !
Publié initialement sur RugbyPass, cet article a été adapté en français par Willy Billiard.
Actus, exclus, stats, matchs en direct et plus encore ! Téléchargez dès maintenant la nouvelle application RugbyPass sur l'App Store (iOS) et Google Play (Android) !
