Le « Dupont bashing » est un phénomène bien français. Nous, Anglais, on l'adore !
Par Gavin Mortimer
Une nouvelle expression a fait son apparition dans le langage du rugby français : le « Dupont bashing ». On la doit à Ugo Mola, le manager du Stade Toulousain et entraîneur d’Antoine Dupont. Il a sorti cette expression lorsqu’il a été interrogé il y a quelques semaines sur la rééducation et les projets de reprise de son joueur star. Victime d’une rupture des ligaments croisés en mars lors du match France vs. Irlande, le demi de mêlée espère effectuer son retour avant la fin de l’année.
Selon le Midi Olympique, le joueur de 28 ans envisagerait même de faire son match de reprise au mieux contre Montauban le 22 novembre, au pire contre le Racing 92 une semaine plus tard.
En attendant, Dupont ne s’est pas arrêté complètement. Il a travaillé sans relâche à reconstruire son genou, notamment lors d’un séjour dans une clinique privée renommée au Qatar pour suivre un programme intensif de renforcement musculaire et de réathlétisation. Mais il y a une limite à ce que le corps et l’esprit peuvent supporter : il faut savoir relâcher, souffler, s’aérer.
Durant l’été, on l’a vu à plusieurs reprises en public, souvent aux côtés d’Iris Mittenaere, personnalité de télévision et ancienne Miss Univers. Le duo a été aperçu dans les tribunes de Roland-Garros, puis sur le tapis rouge du Festival de Cannes. On les a aussi photographiés dans les pages de magazines, profitant du soleil à Ibiza, en Italie ou à Los Angeles.

Pour une minorité, animée par la jalousie ou le ressentiment, c’était le signe que Dupont aurait perdu de vue le rugby, qu’il serait devenu davantage une star qu’un joueur. Des commentaires négatifs ont fleuri sur les réseaux sociaux, incitant Ugo Mola à monter au créneau pour défendre son capitaine : « Les jours où il n’est pas sur les réseaux sociaux, il s’entraîne et on ne le filme pas. Il ne faut pas tomber dans le piège du ‘Dupont-bashing’ qu’on voit en ce moment. »
Mola a ajouté qu’Antoine Dupont avait « de la chance » de pouvoir vivre des moments comme ceux-là, au tennis ou sur la Croisette : « Il a la chance de pouvoir s’exposer, vivre des choses qu’il n’a pas le temps de vivre en tant que rugbyman professionnel dans un club, parce qu’il est blessé et que les week-ends lui sont offerts pour la grande majorité. Antoine est, comme tous les joueurs blessés, présent au club pour la grande majorité du temps. Ensuite, on a un mode de fonctionnement qui fait que dès qu’un joueur est blessé plus de 6 à 8 semaines, une partie de sa rééducation ou réathlétisation ne se fait pas au club. On s’est organisé pour que nos joueurs puissent aller chercher de la compétence ailleurs mais aussi se permettre d’avoir une sorte de fraîcheur. »
Tous les athlètes de haut niveau le savent : la blessure ne touche pas que le corps, elle ébranle aussi le moral. On perd ses repères, sa raison d’être. Comme si un écrivain était dans l’incapacité d’écrire pendant neuf mois ou un artisan empêché de construire.
Tous les athlètes de haut niveau le savent : la blessure ne touche pas que le corps, elle ébranle aussi le moral. On perd ses repères, sa raison d’être. Comme si un écrivain était dans l’incapacité d’écrire pendant neuf mois ou un artisan empêché de construire. L’ancien pilier international anglais Dan Cole l’avait parfaitement résumé en 2014, après dix mois de convalescence à cause d’une blessure au cou : « C’était terriblement ennuyeux. Ma routine quotidienne avait disparu, je n’avais plus rien pour me forcer à me lever le matin. Je ne faisais pas de musculation, et comme les médecins ne voulaient pas que j’active les muscles du cou, je ne pouvais même pas faire de rééducation. C’était ennuyeux, terriblement ennuyeux. »
Cole n’était pas une star mondiale, et les invitations pour les loges VIP ou les galas de cinéma ne pleuvaient pas. Dupont, lui, est une autre dimension. C’est une icône nationale, une vitrine pour son sport, et les organisateurs d’événements savent qu’une apparition de sa part attire l’attention.

Rien de condamnable à cela, juge Max Guazzini, ancien président du Stade Français et grand artisan du virage glamour et rose du rugby français dans les années 2000 : « Les gens qui critiquent Antoine Dupont parce qu’on le voit dans les magazines ou sur les réseaux sociaux, sont des imbéciles. Moi, j’adore Antoine Dupont. Qu’il aille en Suisse ou à Los Angeles, on s’en fout. Il fait ce qu’il veut. En plus, il est toujours bon sur un terrain. Le monde du rugby devrait se réjouir d’avoir Antoine Dupont ! »
Difficile de lui donner tort. Critiquer Dupont, c’est oublier tout ce qu’il a apporté à son club et à son pays depuis dix ans. Le rugby compte peu de vraies stars, de ces joueurs qu’on reconnaît dans les rues de Paris, Londres ou Sydney. Ces rares figures devraient être choyées : ce sont elles qui aident le rugby à exister dans un monde sportif de plus en plus concurrentiel.
Le « Dupont bashing » est un phénomène bien français, preuve que la jalousie et le besoin de rabaisser ceux qui brillent ne sont pas réservés aux pays anglophones. Outre Manche, on l’adore.
Le « Dupont bashing » est un phénomène bien français, preuve que la jalousie et le besoin de rabaisser ceux qui brillent ne sont pas réservés aux pays anglophones. Outre-Manche, on l’adore. Lorsqu’une photo de Dupont s’entraînant dans une salle de sport à Los Angeles, sous un immense logo Red Bull, a circulé, elle a suscité un enthousiasme rare. Même The Times, habituellement mesuré, y a vu un signe du destin : et si Dupont rejoignait un jour les Newcastle Red Bulls ? On peut toujours rêver…
Lors d’une interview que j’avais réalisée avec lui en 2019, je lui avais demandé s’il se verrait un jour jouer en Angleterre. Il avait souri avant de répondre : « Si le réchauffement climatique continue, pourquoi pas ? »
Le climat de Newcastle n’est pas encore celui de Toulouse, mais ce qui pourrait bien se réchauffer, c’est la relation entre la France et Antoine Dupont. Il ne sera pas éternel ; alors, autant profiter pleinement de ce petit génie tant qu’il est encore là.
Cet article publié sur RugbyPass a été adapté en français par Willy Billiard.