L'énigme Will Skelton : né en Australie, révélé en Europe
Il n’y a pas si longtemps, Will Skelton (33 ans, 32 sélections) semblait destiné à figurer dans le grand registre des talents gâchés du rugby australien. Un colosse de 2,03 m pour plus de 145 kg, des jambes comme des troncs d’arbre, un potentiel immense… mais sur le terrain, ses débuts n’ont jamais vraiment été à la hauteur des attentes. Une force brute, oui. Mais une énigme. Et en Australie, ça n’a jamais vraiment pris. Du moins, pas autant qu’à La Rochelle.
Et pourtant, demain soir à Melbourne, alors que les Wallabies jouent leur survie face aux Lions britanniques et irlandais pour éviter une série perdue en deux matchs — du jamais vu depuis 1966 —, c’est bien Skelton qui va se dresser sur leur route.
Pas juste pour sa taille. Mais parce qu’il est aujourd’hui l’un de leurs atouts les plus précieux. Multi-champion d’Europe avec le Stade Rochelais depuis 2020 (après quatre saisons avec les Saracens). Seconde ligne façonné dans les rudes exigences de l’hémisphère nord. Un parcours de rédemption à lui tout seul.
S’il y avait un joueur capable d’illustrer les bienfaits d’un exil en Europe pour les talents incompris du rugby australien, c’est bien lui. À son arrivée aux Saracens, il a été transformé. Diète draconienne, préparation physique brutale, systèmes de jeu ultra-carrés.
« Je l’ai vu après un match avec les Sarries, et je me suis dit : le maillot flotte sur lui ! » racontait Michael Lynagh à RugbyPass en 2018. « Il a fondu, mais il reste énorme. Deux fois moi. »
Quand il débarque à La Rochelle, ce n’est plus un pari. Sous les ordres de Ronan O’Gara, il devient un pilier d’une dynastie en Champions Cup. L’un des avants les plus destructeurs et réguliers du continent. En club comme en sélection, les adversaires doivent désormais composer avec lui. Pas seulement à cause de son gabarit, mais pour sa capacité à porter, décaler et faire jouer après contact.
Et bien souvent, ils n’y arrivent pas.
« Il est juste plus fort que tout le monde », lâchait le commentateur David Flatman après une démonstration de force contre le Pays de Galles en fin d’année dernière. « Voilà ce qui se passe. »
Dans l’hémisphère Nord, Skelton n’a pas seulement collectionné les titres. Il y a appris les détails, le jeu dans toute sa largeur, la science du poste… tout ce qui lui manquait en Australie. En 2023, il est même capitaine des Wallabies à la Coupe du monde. Son tournoi s’arrête sur blessure, mais l’essentiel est là : Skelton n’est plus une curiosité. Il est devenu indispensable.
Joe Schmidt ne s’y est pas trompé. À la veille du choc au MCG à Melbourne, le sélectionneur a été clair : ce n’est pas le moment de faire dans la dentelle : « Will a l’expérience. Il sait ce que c’est que d’affronter ces joueurs, il les joue régulièrement en Europe, et il les bat régulièrement. »
Les Lions approchent. Et Schmidt aligne un homme qui a soulevé des trophées à Newcastle, Dublin, Londres et Marseille. Pour stopper l’hémorragie.
« Will est quelqu’un de calme, avec un vrai vécu dans des équipes qui gagnent. Ça donne de la confiance autour de lui. »
Big man, even bigger heart 💛#ThrowbackThursday to Will Skelton showing incredible sportsmanship 🥹
Great to see the 3x #InvestecChampionsCup winner in the @Wallabies squad for the Lions series 💪 pic.twitter.com/XVsxq2S3Zr
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Tom Wright résume ça à sa façon, sans fioritures : « Son CV parle pour lui. »
Et en effet. Un titre en Super Rugby. Deux titres de Premiership. Deux Champions Cup. Skelton a bu plus de champagne en Europe que les Wallabies n’ont bu de Gatorade ces cinq dernières années. Et pourtant, à 33 ans, ce produit du Hills Sports High School n’affiche que 32 sélections. Pas mal, mais pas à la hauteur de son impact réel. Car l’Australie, à l’inverse de ses clubs européens, n’a pas toujours su reconnaître sa valeur.
Ce n’est plus le cas aujourd’hui. La presse australienne ne parle que de lui. Un moment plein de symboles. Lorsqu’il avait affronté les Lions pour la première fois en 2013 avec les Waratahs, Skelton n’avait pas encore saisi ce que représentait vraiment une tournée comme celle-là.
« L’autre jour, quand j’ai revu ce match-là, je me suis dit : “Ah ouais… j’ai pas mal marché dans cette partie”. J’étais pas vraiment bon, j’avais pas eu beaucoup de ballons. C’était probablement mon troisième match pro, je crois », racontait-il début juillet. « Je voulais revoir l’ambiance, voir comment j’étais en tant que joueur à l’époque, ce qui a changé depuis, comment j’ai progressé… Et puis, avec la tournée des Lions qui arrive, c’était aussi une manière de me replonger dans ce que ça représente.
« Les Lions, c’est une équipe à part. C’est un énorme événement pour le rugby australien. J’étais excité à l’idée de revoir ce que c’était à l’époque. Et ouais, c’était un moment fou. Comme je disais, j’ai pas mal de souvenirs de mes matchs, mais de temps en temps, j’aime bien revoir les anciens. Pour des moments marrants, ou un détail en mêlée que j’avais oublié. C’est plus de la nostalgie, en fait. »
💥 Will Skelton wreaking havoc on his debut. #FlashbackFriday#Wallabies @eToroAU @CadburyAU pic.twitter.com/14Y4LUh93F
— Wallabies (@wallabies) October 8, 2021
Et ce samedi soir, ce ne sera pas un test comme un autre. Ce sera gagner… ou entrer dans les livres de trivia, comme la deuxième équipe australienne en 59 ans à perdre une série contre les Lions en deux matchs secs. Le troisième-ligne australien Harry Wilson a parlé de la pression comme de ce qu’on aime dans le sport pro.
Eh bien, la voilà.
Avec plus de 90 000 personnes attendues au MCG et tout un pays qui attend qu’un joueur — n’importe lequel — relance les Wallabies, c’est vers un homme né en Australie mais façonné en Europe qu’on se tourne.
Skelton n’est plus une interrogation. Il est une réponse. Peut-être la seule qu’il leur reste.
Cet article, publié initialement sur RugbyPass, a été adapté en français par Willy Billiard.
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